Je ne m’attendais pas à toi. Comment s’est pris ce rendez-vous ? Toi et moi, en dehors des normes temporelles et spatiales vingt ans après ta mort ? Qui a appelé qui ? Tu n’as pas demandé à me rencontrer à l’occasion d’une faveur que t’aurait accordée l’autre monde, je n’ai pas fait tourner les tables ni ne me suis mise en quête de messages d’outre-tombe. C’est un JE d’écriture qui m’a happée, un je qui cherche son tu, un jeu qui t’a désigné. Je viens donc à ta rencontre, tentant d’épaissir sans colère le trait flou du déni. Y revenir encore, tu as l’air las d’entendre parler de ce qui te poursuit encore. Tu aurais pu y penser avant, tu aurais dû y penser avant, évaluer les conséquences de tes penchants. Tu n’as sans doute pas réalisé qu’ils s’intriqueraient irrémédiablement à la vie des gens qu’ils toucheraient. Quand je dis des gens, je devrais dire des enfants, des personnes petites encore d’âge et de chair, exposées aux feux de tes projecteurs. L’as-tu choisi ? As-tu décidé de le faire ? Non. Sans doute n’avais-tu pas les clés pour lutter, sans doute n’étais-tu pas taillé pour, toi qui par ailleurs pouvais te montrer si faible, toi qui préférais les moi je ne dis rien aux avis qui tranchaient et faisaient référence. Tu n’as pas mesuré, sous-estimant l’impact de que ce à quoi tu ne voyais rien de répréhensible, ni de bien méchant. Et puis, comme on le dit aujourd’hui, à l’époque, les choses étaient différentes. Pourtant, découlant directement de ta quête infantile mais sexualisée, découlant de tes gestes travestis en moments ludiques, combien de pertes de confiance, combien de doutes, combien d’interdits mal placés – comment les placer alors que tu avais balayé l’interdit sacré ? -, combien de barrières et d’autocensures ? Tu es incrédule ? Sache cependant que ces doutes traversent les générations et que tes gestes foireux engluent des vies de jeunes humains qui ne connaissent même pas ton visage. De manière plus distanciée, je te l’accorde, je te vois prêt à réagir et déjà tu me tournes le dos. Va. La colère s’est noyée dans les ans, la colère s’est effilochée, elle s’est épuisée.
« Comment s’est pris ce RV » ? J’aime beaucoup votre façon de présenter l’irruption de votre personnage à tutoyer, « un je qui cherche son tu ».
Quelle puissance pour donner le courage de dire ça. Même si la colère est effilochée.
Merci pour votre passage entre ces lignes, Bernard!
Merci de dire, d’écrire le « ni de bien méchant » et « les gestes foireux » Texte calme et clair.
Merci à vous Cécile.