Iel ou ielle ? Quelle orthographe préfèrerais-tu ?
Quand tu l’as aperçue dans l’amphi, tu as pensé que c’était la plus belle fille que tu n’avais jamais vue. Rousse flamboyante bien en chair, poitrine époustouflante où déjà tu rêves de te lover et un cerveau qui carbure, qui explique, qui argumente tout en sociologie réflexive. T’es sous le charme, toi qui te tiens au fond de l’amphi, t’es éblouie ! Très vite tu la courtises et coup de bol inouï, elle répond à tes avances, les encourage et vous voilà toutes les deux amoureuses, vos baisers à pleine bouche choquent, jugés impudiques, mais vous vous en foutez.
La relation-fusion que vous vivez est haut perché, elle ne s’embarrasse pas du qu’en-dira-t-on, elle vogue sur son nuage de passion sans une goutte de compromis.
Qu’importent les regards désapprobateurs, les soupirs ou les réflexions, au nom de quoi les autres auraient quelque chose à dire. Parce qu’on est deux filles ? Au diable les étroits du bocal !
Toi, quelque chose te taraude depuis bien longtemps. De tes 25 ans, tu pèses toutes ces années sans elle. Qu’elles t’ont parues longues, vides, étirées, et pourtant… ton corps en ébullition te questionnait sans trêve. Depuis tes 8 ans, tu avais une impression diffuse de ne pas habiter ton corps, comme si tu avais enfilé un déguisement trop grand pour participer à l’anniversaire d’une de tes copines. Quelque chose clochait et tu ne savais pas quoi. A l’adolescence, bouleversement, deux tout petits seins pointent sur ton thorax, te voilà à la fois fière et confuse, l’épreuve du sang t’accable… Et toujours cette attirance pour les filles.
D’année en année, ce qui clochait est apparu clairement : tu veux être un garçon. Non pas comme celles qui entrent en rébellion contre le sort qui leur est fait, ou comme ces garçons manqués qui font tout pour ne pas paraître fille et donc inférieure dans les jeux de ballons. Non, toi, tu as la chance d’être née dans une famille où frères et sœurs sont traités de façon égale, sans discrimination, tout le monde met la table, débarrasse, fait la vaisselle, chacun son tour.
Alors pourquoi ce besoin d’être un garçon ? Tu tournais autour de la question, tu ne savais pas, les sexes étaient tellement définis, ancrés dans leur certitude que ton doute te paraissait extravagant. Pouvait-on avoir un corps de fille et penser en garçon ? Ne pouvait-on pas être entre les deux ? Ou alors alternativement ? Ou les deux ?
Heureusement, tu lis des penseurs, des écrivaines qui bousculent la notion de genre, qui la décrive comme un carcan que la société nous impose à tous.tes et cela te sauve. Une bouffée d’oxygène. De façon détournée, de circonvolution en circonvolution, tu testes tes parents, ton frère, ta sœur, tes amies sur ce thème et tu observes leurs réactions. Faire comme Bourdieu, « changer de point de vue » surtout physiquement.
Grâce à ta relation amoureuse, tu oses être celllui que tu veux être. Elle te soutient dans ta démarche, elle est là si solide, si présente, si attentive que tu en es ému.e. Alors tu y vas, tu prends des hormones qui vont te modifier pour que tu te sentes bien. Pourquoi le 1 et le 0 auraient-ils tous les droits, un peu de complexité que diable !
Ta carrure s’étoffe, il te pousse une légère barbe, tu adoptes même la moustache que tu adores et comble de bonheur tu as du poil aux pattes ! Tu as gardé tes cheveux mi-longs et on te prend bien souvent pour un p’tit gars… tu es ravi.e !
Du coup, les regards changent, surtout quand tu tiens la main de ton amoureuse, rien ne les choque plus.
Sur une des photos prises dans un musée désert au fin fond du Montenegro, vous vous amusez à poser. Toi porté.e le temps du déclic par ton amoureuse, moustache arrogante et pendentifs clinquants (tu as toujours aimé les boucles d’oreilles), éclatant de rire au milieu des bondieuseries… en robe ! Une photo coup de poing qui clame ce que es et que tu assumes, bien dans ta peau.
Dans les trains que vous prenez, les regards s’attardent parfois sur toi, curieux, interrogateurs, ils cherchent à entrevoir le mystère qu’ils pressentent mais n’attrapent pas. Faut dire que tu ne les y aides pas. Ta petite poitrine de fille joue les absentes et ta pilosité répond insolemment aux questions. Tu es pour eux le garçon qui a su séduire cette magnifique rousse. Te voilà ivre de bonheur et dans les sourires que tu distribues aux familles chargées de paquets, affleure une pointe de fierté. Serait-ce là ta victoire sur la société, être à la fois toi et toi !
Très beau, réflexions passionnantes, cheminement clair et sans concession. Merci pour ce joli texte.
Texte captivant qu’on lit d’une traite.
Beau personnage transformé, révélé par cette superbe relation amoureuse. Un texte riche d’images et de réflexions.
Quelle belle énergie dans ce texte qui nous emporte et nous chavire comme à bord des trains que ton personnage prend en toute fin de récit. Un très bel appel à la liberté d’être, lorsque l’on se trouve.
Merci à tous.tes pour vos commentaires.
Oui, comme tu dis Bernadette, c’est un appel à la liberté d’être… quand on a réussi à se trouver !
à la fois toi et toi… La fin est un point d’orgue à ce texte superbe, merci !