Pause 1
— D’où parles-tu, toi ?
De Vichy bien sûr, la reine des villes d’eau, la station thermale que Napoléon III a tant aimée ; celle où était en cure le futur gardien de Dreyfus quand il fut rappelé à Cayenne. De Vichy bien sûr où est né Valéry Larbaud dont le père possédait la source de St Yorre, qui fut l’ami de Louis Chadourne, l’érudit passionné de Kipling, Stevenson et Conrad qui devint en 1919 le secrétaire de Jean Galmot. Tout se tient dans ce monde déjà mondialisé qui va le devenir de plus en plus.
— De l’exotisme, rien de plus ?
Ces personnalités m’attirent qui ont parcouru le monde colonial comme reporters, écrivains, témoins oubliés aujourd’hui comme Jean Hess qui couvrit l’île du diable, mais aussi l’explosion de la Pelée, la Tunisie , le Maroc, l’Indochine, ou Lafcadio Hearn dont seuls les martiniquais se souviennent qui vécu deux ans à Saint-Pierre avant l’explosion. Il fallait trois semaines à l’époque pour aller de Saint-Nazaire à Cayenne. On recherchait à Paris les belles exotiques, l’important n’était pas la distance, mais la fortune. Peu importait d’ailleurs la distance, car pour réussir à la colonie il ne s’agissait pas d’y vivre, mais d’avoir un bon régisseur honnête et un bon garde-chiourme bien sauvage. Le premier câble transatlantique datait de 1858 ! Au début du Xxéme siècle on transmettait 120 mots minute à travers l’océan, mais c’était cher et on ne transmettait pas encore les photos. C’étaient des êtres en rupture, plus qu’attirés par l’exotisme. Leurs lecteurs oui rêvaient et aimaient rêver bien au chaud. Souvent critiques face aux comportements des colons.
— l’esclavage était aboli depuis 1848, pourquoi revenir au code noir ?
Dans son mélange d’horreur et de mansuétude régulatrice, le code noir raconte la condition des esclaves. La révolte victorieuse des esclaves de Saint-Domingue hante l’imaginaire des coloniaux ; malgré les indemnisations pour la privation de ces biens meubles qu’étaient les esclaves, ils ne rêvent que de retrouver le paradis perdu de la perle des Antilles, en Guyane par exemple. Tout est relié, mais tout est caché aussi. On vient juste d’exhumer les archives des indemnisations des colons propriétaires d’esclaves (220 ans après la proclamation de la République d’Haïti) et toutes les données ne sont pas publiques. Vichy est inscrit la même année au patrimoine mondial de l’humanité.
— Et la Grande Guerre dans tout ça ? On ne situe pas impunément une fiction en 1920 sans évoquer la Grande Guerre ?
Louis Chadourne enrôlé en 1915 a passé plusieurs heures enterré après une attaque, il a terminé la guerre comme interprète et sa vie dans un asile à 34 ans. Des choses dont on ne parle pas. On n’est pas encore au Vichy de Pétain et l’exclusion des juifs des colonies ne tenait plus (en Algérie…), mais quand je vous dis que tout se tient et qu’il reste dans nos mémoires enfouies des drôles de choses.
Pause 2
— Les colons pauvres, les ratés, les déçus, il y en a eu. Pourquoi ne parles-tu que de ceux-là ?
Je ne connais que des descendants de colons pauvres qui se sont battus avec leurs rêves contre la réalité. Je voudrais parler des autres, mais ils m’échappent. Pourtant, pourtant, ils se cachent aujourd’hui et ne comprennent pas ce qu’on leur reproche
— Même pauvres, ils se sentaient supérieurs à leurs esclaves, à leurs ouvriers, aux indigènes ; ce n’est que dans ta tête qu’ils se débattaient au bord du précipice ?
Ce qui m’intéresse, c’est cette lutte inégale qu’ils croyaient pouvoir gagner et qu’ils ont perdue de multiples façons. Ce qui m’intéresse c’est qu’ils croyaient se battre pour une cause juste et n’ont fait qu’ouvrir la voie aux pillards.
— Qu’est-ce qu’une cause juste ? Tu ne réponds pas, tu ne sais pas.
Une cause juste, cela a à voir avec la mémoire. Ne pas oublier d’où nous venons tous pour savoir où nous voulons aller. Se rappeler qu’il y a toujours des bons et des mauvais. Des gens qui se battent avec honnêteté et d’autres qui exploitent et profitent. Des courageux, des critiques, des gens de bonne volonté et des profiteurs.
— Remettre en lumière le code noir, la Grande Guerre, la mondialisation, c’est une histoire d’historiens pas d’écrivain qui ne peut rien changer au monde, ne crois-tu pas ?
Je voudrais le faire simplement d’une façon qui parle aux gens de leur histoire familiale, pas de la grande histoire. La grande histoire est affaire d’historien, mais nous portons tous en nous cette petite histoire qui a déchiré les familles, peiné les pères et les mères, tué des gens. La grande histoire cache ses archives.
— un bon gros roman historique, pourquoi pas ?
Ce n’est pas ce que je veux faire, pas le souffle peut-être, pas le public non plus ! Juste quelques portraits qui éclairent une époque et ses contradictions, un travail plus pointilliste, plus vite lu mais qui saisisse la réalité comme un album photo .
— Tu ne sais pas vraiment où tu vas ni ce que tu veux dire !
C’est vrai, mais j’essaie.
Oh oui, essayez s’il vous plaît, continuez s’il vous plaît à nous embarquer dans les histoires de toutes ces vies mêlées, et à parler de l’ignominie de l’esclavage. J’aime beaucoup la façon dont vous tressez les temps et les mémoires et les faites avancer jusqu’au présent.
Merci pour les encouragements. Je m’accroche avec de grandes périodes de doute, mais si on ne s’accroche pas on coule avec sur le coeur un projet inabouti de plus.