Une petite école primaire. La petite école primaire en face du balcon. La petite école primaire en face du balcon dans laquelle il y a un gymnase en préfabriqué. Toit grisâtre, murs blanchâtres, fenêtres pas en PVC, porte en bois mal fermée, clôture grillagée. Pas aux normes le gymnase, un peu d’amiante dans les coins ? Peut être pas quand même. Mais vieux, désuet et charmant. Chaque jour, les enfants vont y jouer et faire un peu de sport. Juste devant le gymnase, il y la cour de récréation, grise avec ses bandes blanches et ses coins où on peut se cacher ou jouer à la marelle (si, si, ça existe encore entre deux Tik Tok) et des arbres, beaucoup d’arbres qui entourent les murs. La petite école primaire dans une rue fermée par un mur qui permet aux parents d’emmener leurs enfants à pied sans risquer de se faire écraser. La petite école primaire pas au centre ville mais pas complètement en dehors. La petite école primaire qui va devenir le lieu d’expérimentation de Monsieur le Maire, la transformation de ce gymnase en un gymnase de haute qualité environnementale !
Une petite école primaire. La petite école primaire en face du balcon. La petite école primaire dans laquelle on a fait mettre un mur pour séparer l’école et sa cour de récré du gymnase et sa cour de récré et les premiers bulldozers sont arrivés, immenses et bruyants, devant les yeux des enfants éberlués. Les premiers bulldozers qui, sans ciller, s’attaquent aux arbres en premier. Arbres arrachés, déracinés, posés en tas sur le sol cimenté, arbres anéantis, volés à la vie. Les bulldozers, sans ciller, s’attaquent au petit gymnase et lambeau après lambeau, le dissèque, le déchiquète, en extirpe la moelle, les fondations, le métal, le bois et le pose à terre sur le sol cimenté, déchiré et en miettes.
Une petite école primaire. La petite école primaire en face du balcon. La petite école primaire dans laquelle les premiers ouvriers arrivent. Jeans, tee shirts blancs ou colorés, chemisettes légères, torses nus, c’est bientôt l’été, casques bleus sur les têtes. Tout a disparu, seule la terre est remuée, à nue, prête à être remodelée, le chantier en devenir. Mains dans le ciment, tranchées creusées, tuyaux, murs bétonnés, la pose des fondations. Arrivée des murs en briques rouges empaquetés dans du plastique, arraché à mains nues par les ouvriers. Murs en briques rouges montés, pierres après pierres, nettoyés au jet d’eau du tuyau blanc, minutieusement. Au milieu des briques, les grues tournent et retournent, virevoltent et assemblent de grands pans de bois en charpente, pareille à la création de l’arche de Noé.
Une petite école primaire. La petite école primaire en face du balcon. La petite école primaire dans laquelle les murs sont créés, le bois et la laine de verre sont posés et le toit surplombe le tout. Toit de tôle, gris, brillant, en attente, du végétal car toit végétal, bien entendu ! Les grues ont disparus, les ouvriers sont restés. Jeans ou pantalons en toile épaisse, pulls et blousons sur les dos, l’automne est arrivé. Jour après jour, nuit après nuit, ils oeuvrent, s’acharnent, portent, apportent, déplacent, assemblent, balaient la terre et semblent danser au milieu des outils. Jusqu’au soir, jusqu’à la nuit. Les lampes à pétroles s’allument, en écho aux étoiles, et les hommes continuent de travailler. Corps assis, corps allongés, corps penchés vers le toit, corps ornés de lampes frontales, corps scrupuleux de ne rien oublier. Corps qui se tendent les mains, corps qui s’étreignent avant d’aller dormir.
Une petite école primaire. La petite école primaire en face du balcon. La petite école primaire dans laquelle le gymnase est terminé. Les murs en briques rouges, surmontés de murs en bois, surmonté d’un toit végétal, surmonté d’une grille de fer et de métal. Le gymnase est terminé et a mangé toute la cour de récré. La marelle n’existe plus et les coins pour se cacher non plus, fini le vieux et le désuet, fini les cris d’enfants relégués dans le fond de l’autre côté. La rue s’est ouverte, les voitures peuvent circuler et vive la modernité. Le gymnase est terminé et les cadres et ouvriers, blousons et manteaux sur le dos, font le tour, observent, et vérifient. L’hiver est arrivé, il neige…
Codicille : J'ai repris pour ce travail une année de photographies prises de mon balcon où un gymnase fut construit dans une petite école primaire. J'ai tenté de respecter les variations même si je pars de quelque chose qui vient du passé.
absolument vivant et parfois tristes ces rendez-vous d’école primaire et du temps mélancolique où s’évanouit le coin de la marelle. Me fait penser à Perec quand il retourne voir et revoir sa rue.
Bonjour Jacques,
Merci beaucoup pour ce retour – Je vais prendre le temps de lire vos textes et de revenir vers vous dans les jours qui viennent. Bon dimanche.
Votre texte comme une petite musique qui m’envahit.
Merci
Merci Cécile, à mon tour de vous lire et de revenir vous faire un retour.
Bon dimanche.
Très réussi, ce petit refrain lancinant, et ces travaux jour après jour. Il y a une musicalité dans cette répétition, une manière d’écrire très différente des autres textes que j’ai lus. C’est fluide, simple, évident. Avec des mots très quotidiens que l’on répète et qui sonnent, une grande douceur aussi, la douceur d’une comptine. Je m’arrête là pour ce mini marathon, une bien belle soirée! 🙂