A l’endroit où la forêt de pins s’éclaircit, sur le flanc de la colline, là où les grands arbres penchés deviennent de plus en plus rares et laissent place à des buissons de chênes kermès et à des cistes roses et blancs, le chemin de pierres et de terre devient plus étroit et plus tortueux. On le devine serpentant entre thym et romarin en fleurs jusqu’à disparaître derrière un rocher plus gros que les autres. On l’imagine continuant sa trace sur un autre versant, ou alors se faufilant dans le maquis pour se rendre invisible aux yeux qui le cherchent depuis le bas. La lisière de la forêt marque la frontière entre deux mondes, entre forêt et garrigue. Une ligne au-delà de laquelle l’ombre a cessé de vouloir exister. Ou alors furtivement, à l’abri d’un fourré dense et épineux. Plus à gauche, un tas de pierres interroge. Emportés par leur élan, les blocs de calcaire échappés des pierriers en amont y ont fini leur course pour former une stèle à la mémoire des paysages passés.
Au plus fort de l’été, lorsque le soleil tape si fort qu’il assommerait un géant de sa puissance aveuglante, la lisière de la forêt marque l’entrée en pays de solitude. L’air aiguisé comme un couteau de cuisine lacère les poumons sous la chape bleue électrique d’un ciel vierge. La pierre restitue le brûlant désir d’une nature sauvage, entière, sans artifice. Craquelée comme un vieux tableau de maître, la terre brune suffoque et ouvre ses pores béantes en quête d’un souffle de vie. Le brin d’herbe brûlée chancelle, immobile, tel un crucifix à l’équilibre incertain. La mort se présente en face mais la vie, jusqu’à la limite des ombres d’une forêt en souffrance, expire encore son râle rageur. La cigale chante l’amour encore possible sur le rythme des pulsations d’un coeur en bout de course. Le pinson, la fauvette et le rouge-gorge unissent leurs efforts pour dessiner un souffle en battant des ailes. Au bord du chemin encore ombragé, l’abeille solitaire prie au fond de son trou ensablé.
L’eau ruisselle. Dévalant sur les pentes abruptes de la colline, elle emporte tout ce qu’elle peut sur son passage. Sûre de sa force, elle rit lorsque le caillou résiste sachant que l’armée de gouttes qui pousse derrière aura raison des derniers vacillements de sa victime. La terre se joint à la fête en colorant les flots de ce qui, hier encore, était souffrance, maculant au passage tout ce qui ose rester endormi. Les rochers impassibles ne bronchent pas, renvoyant les gouttes astrales vers d’autres cieux. Les buissons de chêne respirent jusqu’à l’extrémité de leurs épines, s’enivrant de toute cette eau sans aucune modération. Sur le chemin devenu fleuve, l’herbe retrouve espoir, celui d’un carême que la résurrection autorise. L’espoir de renaître, de verdir à nouveau. Les arbres applaudissent de toutes leurs aiguilles en accompagnant de leurs grands bras le déferlement de vie dans ce raz-de-marée vengeur. Même le tas de pierres semble respirer.
A gauche, se dressait autrefois une petite cabane. Quatre murs de pierres blanches pour quelques poignées d’argile et de paille, un toit fait de branchages et juste assez d’espace pour que le berger puisse s’allonger avec son chien. Autour, les moutons exploraient en quête d’une pousse miraculeusement épargnée ou de quelques feuilles de trèfle oubliées, se contentant le plus souvent de paille sèche sans saveur. Evitant soigneusement les brins de thym et de romarin à l’appel si parfumé. Du matin jusqu’au soir, les moutons et le berger cherchaient, l’herbe ou le sommeil. Mais ils se retrouvaient parfois dans une autre quête, commune cette fois. Le museau en l’air et le regard dirigé vers la crête, l’ovin cherchait à percevoir l’invisible prêt à y croire au moindre signe. Les yeux portés sur la cime des pins, le berger attendait lui aussi un geste du très-haut. Mais faute de réponses, berger et moutons ont cessé de venir. Et la cabane est devenue tas de pierres.
Sous le regard bienveillant d’une lune éclairée, les farfadets s’amusent. L’ombre de la forêt est devenue nuit et embrasse de son empreinte magique toute la colline. Un rayon céleste suffit à faire sourire l’imposant rocher et les pierres en tas se mettent à voler dans les mains d’un esprit jongleur. Le chemin joue au serpent et ondule sur les pentes endormies de la colline illuminée. Plus bas, les arbres tiennent concile avant de danser autour de leurs troncs solidement enracinés. Ils jouent avec les oiseaux qui volent de branches en branches dans des piaillements rieurs. Sauf le grand duc, trop soucieux pour sourire. Les cistes essaient de nouvelles robes multicolores, taillées sur mesure par des fourmis en effervescence. Thym et romarin parlent parfum dans un feu d’artifice de fragrances ensoleillées. Pendant que le renard traverse ce tableau poursuivi par des fantômes de poules, de lapins, de campagnols et d’écureuils.
Tout me parait si familier. Paysage de mon enfance qui renait sous votre plume. Des images fortes. Même les clichés sont judicieusement distillés. Un texte dans lequel je me sens bien
Merci, beaux compliments.
Belle promenade !
Merci d’avoir passé du temps sur mes mots.