Codicille : MAKING OF Comme ce fût laborieux. Mise en place d’un protocole « littéral »: rien ne venant à mon esprit, pas d’image de paysage, encore moins de variations, je me suis installée avec l’ordinateur devant la fenêtre de la bibliothèque. Je connais si bien cette vue, j’ai l’impression que d’un jour à l’autre rien ne va changer mais je ne trouve pas d’autre moyen pour démarrer sur cette proposition 7. Tentative de passer directement à la proposition 8 mais la 7 encombre ma tête. Et je reprends le texte à différents moments, différentes journées, installée devant la fenêtre, l’impression que rien ne change mais si je reste suffisamment longtemps en laissant mon esprit vagabonder, laissant venir ce que m’évoque ce paysage, quelques idées émergent, si difficilement, je note des morceaux de phrases, des sensations fugitives et plus tard je retravaille. Le résultat n’importe presque pas mais cette démarche de creuser, de découverte là où je pense ne rien trouver à voir, à dire (avec un temps disponible limité), me laisse entrevoir cette idée de texte pas encore là et qui va se construire et un plaisir à venir. Et une question : quand s’arrêter ?
Mercredi 4 août 2021
Depuis la haute fenêtre rectangulaire, vue sur un jardin. Le large battement central sépare le paysage en deux lieux différents, ce qui se cache à la vue manque à l’œil pour construire la continuité de l’image. Jeu de profondeurs, comme sur ces cartes à construire ou l’on déplie chaque élément, depuis les premières fleurs qui touchent presque la fenêtre jusqu’à la forêt au fond. En bas à gauche, les dernières marches de l’escalier de pierre conduisent à une brouette retournée, comme posée contre le dormant de la fenêtre, coiffée des longues tiges emmêlées d’une vigne. Derrière la brouette, pointent l’avoine et d’immenses roses trémières. A droite au premier plan, une touffe de lavande s’étale sur le sommet d’un muret gris qui disparaît un temps pour réapparaître par l’autre ventail, pas tout à fait dans la continuité, comme s’il avait été déplacé en chemin. Les vrilles d’un concombre ne trouvent pas à s’accrocher, désorientées et inutiles sans pouvoir rejoindre le fuchsia ni le rosier jaune. Au second plan, une charmille cache le bas d’un saule pleureur et tout au fond, presque indistincts les uns des autres, chênes et grands marronniers occupent la totalité de l’horizon.
jeudi 5 août 2021
Fluidité du léger vent, mouvement qui se transmet à chaque souffle, par vagues qui font onduler les branches du saule, secouent les feuilles de la charmille et font se pencher les roses trémières, géantes et raides, se rencontrant et se repoussant, presque jusqu’au sol mais qui résistent et se relèvent. Les tiges du fuchsia rouge se balancent tranquillement sans qu’on puisse distinguer l’oscillation de ses clochettes, les branches souples de la vigne s’enchevêtrent et laissent apparaître quelques grappes de raisin vertes. L’influence du vent est presque invisible sur les arbres du fond, seules quelques branches isolées s’agitent en dépassant de la voute forestière. Multiples hauteurs, multiples profondeurs, multiples couleurs, multiples formes, profusion qui se révèle à la vue au travers de ce cadre contraint. Une fleur de pissenlit traverse le paysage en volant doucement, sa trajectoire définie par le souffle de la brise, envie de la suivre en se laissant porter dans son sillage.
Vendredi 6 août 2021
Une araignée a tissé sa toile à l’extérieur, sur l’angle gauche en haut de la fenêtre mais reste invisible. Dans la lumière grise du petit matin, les grands arbres remplissent presque totalement l’horizon, masse compacte, barrière sombre et opaque, le léger balancement des cimes moins feuillues qui laisse juste entrevoir un peu de ciel blanchâtre. Le mélange des espèces est indissociable, feuilles de chênes sur branches de marronniers. Une étrange immobilité de cet arrière-plan, ces quelques arbres semblent l’avant-garde d’une multitude qui les prolonge derrière, une épaisse forêt touffue qui continue et se densifie. Ce rideau sombre des chênes et des châtaigniers est un écran parfait pour la palette de verts plus lumineux des arbustes légers qui se détachent devant. Poursuite d’oiseaux de branche en branche. Souffle plus vigoureux ce matin, en petites rafales, chaque élément bouge à son rythme, le même souffle ne produit pas les mêmes mouvements. Les branches du saule se balancent ensemble, très gracieuses, les grandes roses trémières passent d’un vantail à l’autre, disparaissent par instants, crainte qu’elles ne se relèvent pas tellement elles se penchent. Une rose fanée est tombée sur le muret de pierre, jaune devenu rouille.
Dimanche 9 août 2021
Bruit de la pluie battante à travers la fenêtre fermée, paysage barré de ce rideau de perles grises, ciel de nuages bleu sombre pour ce qu’on en distingue par quelques trouées. Gouttes qui tombent brutalement sur les grandes feuilles de concombre et dévalent en petits ruisseaux. Violence de cette pluie qui frappe les pétales sans ménagement, comme des gifles assénées et répétées, pourtant les fleurs résistent mais celles qui étaient prêtes à tomber, aux corolles fatiguées, se laissent entrainer sur le sol en petits tas chiffonnés. Gaité cependant du joyeux rebond des gouttes sur le muret de pierre tout brillant de petites flaques. Le rythme de la pluie est changeant, par instants on devine un peu de clarté qui cherche à traverser les nuages, un ralentissement du rythme des gouttes, presque à s’arrêter puis qui repart encore plus vivement. Derrière la brouette, on ne voit plus l’avoine sans doute couchée définitivement au sol, les graines détachées de leur enveloppe et se perdant dans la terre.
Jeudi 12 août 2021
L’écrasant soleil d’août en cette fin d’après-midi, la torpeur a gagné chaque brin d’herbe, pas un mouvement dans la végétation, seuls quelques vols d’insectes, libellules, abeilles ou papillons animent le paysage. Les larges feuilles du concombre se flétrissent, comme fatiguées, se rétractent sous l’effet de la soif, le vert pâlit, les bords jaunissent, on les devine cassantes maintenant. Quelques mouches sont piégées dans la toile de l’araignée. Le soleil décline vite et seules le haut de la vigne et quelques roses trémières restent touchées par ses rayons, comme mises en valeur par un projecteur qui choisit d’éclairer cette partie de la scène allumée et s’éteint progressivement, plus de vedette, uniquement des figurants. Les fleurs rouges du fuchsia ressortent encore, ces petites cloches au carillon noir, que l’on cueille et retourne pour faire des poupées végétales. Derniers rayons dans les grands arbres, ultime tour de piste avant la fin du spectacle.
on sent un amour profond de la nature et des courants qui traversent son grand corps, je vous vois devant votre fenêtre comme si j’y étais. merci pour le dormant, je ne connaissais pas ce mot, il est beau.
Merci beaucoup pour cette lecture, vous avez raison la nature me porte et m’importe.