Le temps comme arrêté, il n’existe pas encore de mouvement, il est encore tôt. Le vent fait claquer les portes. Les feuilles s’agitent, prisonnières. Le sac en osier rempli de papiers journaux aux dates brouillées. Les courants d’air qui sifflent dans les oreilles. Il y a de la vaisselle qui se casse. Bourdon envahissant. Dans le cadre embrumé la promenade balayée par les vents. Le chat roux marche sur le rebord, dérange le store, puis les coquillages et les autres trésors de la mer amassés à cet endroit. La poussière fuse les gris du paysage. Tout embarrasse la vision, mais il n’y a rien à voir, c’est un matin blanc qui aveugle. La pluie assombri le sable et fait grandir la mer. Et les bateaux perdus dans la mer grise. On pourrait admirer la beauté de la galerie de l’ancien casino. La fausse lumière gâche tout. Rien n’a de nuance, tout est factice. Il fait trop froid, on se fige en soi. Même les oiseaux font du sur place, les mouettes en suspension dans les airs, peut-être la mer, tout est confusion, on ne comprend rien.
La voix d’un acteur que l’on ne reconnaît pas, il était plus jeune alors. Ce sont les années qui défigurent les tympans, modifient un paysage, donnent à l’ancien casino des échos du passé. Le soleil pénètre là où il peut, offre des ombres séduisantes, réchauffe les fauteuils et fait briller les bords de table. Il y a trop de vent sur la terrasse, il y a rapatriement dans la galerie qui fait effet de serre. Trop plein d’odeurs. Les odeurs s’annulent. La poussière recouvre la vitre. Atténuation qui allège la gravité. Tout flotte. Sur la pulpe des doigts, les grains de sucre comme le prolongement de la plage disparue. La grande marée rend l’horizon uniformément bleu. A perte de vue, le bleu du ciel. Les voiles colorées en points de broderie. On peut y projeter ce que l’on souhaite, sur ce ciel bleu qui ne demande qu’à être rempli. Les formes qui circulent dans les vitres sont au ralenti. Les pas feutrés sur la terrasse en bois, quelques pas de danse ; les mains tendues portent le ciel.
Toutes les couleurs ont été rendues, le temps s’écoule avec lenteur, les grains tombent doucement, s’infiltrent dans les poches et les chaussures, on en tirera un plaisir doux-amer en rentrant chez soi. L’alcool tinte lorsqu’il glisse dans les verres. Les conversations sont des promenades et des souvenirs. Les liquides font des reflets mouvants sur le cadre des fenêtres. L’odeur de la mer circule le long des tables, il y a des traces de rouge et de poudre sur les couverts. Les fenêtres immenses ne semblent pas fermées, elles sont propres, brillantes, des ouvertures sur la mer. A un moment, les stores en bois sont abaissés de moitié. Ils découpent le ciel en part égale, à l’horizontale, pour éviter un trop plein de soleil. Qu’importe. Les regards prolongent ce début de soirée orange. Aucun drame (sinon celui d’un souvenir oublié) n’aura lieu ce soir. Les sourires des passants sous les lampadaires encore éteints. Le soleil s’apprête à rouler sur la mer.
La promenade comme les bancs des spectateurs, le ciel, une estrade. Il est des heures que l’on veut vivre tout en les accélérant. Cette anticipation qui tend le corps vers le ciel. Sur la promenade de la station balnéaire, quatre jeunes femmes venues admirer le soleil couchant, frissonnent. Leurs silhouettes frêles noyées dans des couches de vêtures. Leurs épaules couvertes par des châles blanchis par le sel. Le vent a bien dégagé les nuages, repliés sur les côtés, des rideaux de ciel. D’ici, la vue est impeccable. C’est la nuit qui s’annonce. Le temps a été lavé avec soin. Les couleurs d’une palette de couchant. Le soleil poursuit sa course. L’accélération finale serre quelque chose, toute la salle est en attente, les couverts reposés. Les tâches de soleil dans les yeux se mêlent aux ombres grandissantes. Et le voilà qu’il surgit, cet éclat de vert, comme le cul d’une bouteille que l’on renverse au soleil. Une poignée de secondes. Le soleil a disparu, mais le feu est entré dans la salle.
Le photométéore attendu, pas ce soir, il y a trop de brume. C’est presque un soulagement que d’apercevoir ce ciel de pluie, avec ces teintes d’eau et ces nuages familiers, qui s’emmêlent sur la toile du ciel. Les miracles lumineux auront lieu à d’autres occasions, trop en voir serait un luxe que l’on se refuse. Le doux rythme des dîners comme des vagues, sans surprises, jamais pareilles, mais tissées en une impression semblable. Parfois jeter un œil vers la mer. Comme pour s’assurer de sa présence. Le ciel gris, bleu, rose, violet, et toutes les nuances entre ces couleurs. Très vite tout vire à l’anthracite. Les lampadaires attirent quelques insectes. Seul le bruit des vagues laisse deviner la mer. L’horizon est une nuit, ensemble infini. Lumières tamisées faussent l’obscurité. En réalité, les yeux restent dominés par la lumière. Les regards ne s’y habituent que lorsqu’ils dessinent des figures connues, depuis les étoiles jusqu’aux recoins les plus sombres, des lignes sont tracées dans le silence.
J’ai beaucoup aimé. Les couleurs. Les atmosphères. Les glissements.
Ravie ! Cette idée de glissements me plaît bien.