Lever gris souris
Nuages qui s’emmêlent, se démêlent sans langueur sur une toile de fond grise. Ce matin, Zeus s’est levé tôt, en kit, la barbe sale. Les rayons de soleil tentent une percée, on espère les voir dissoudre le voile matinal mais le tapis de coton tient ses moutons bien serrés. Aucun passage ne s’esquisse. La tristesse est aussi compacte qu’un bloc de béton. Le toit de la maison d’en face reste figé dans sa pâleur endémique. Le plantin, les herbes folles et les feuilles du laurier rose se dessinent dans une lumière passée au tamis, elle résiste par endroit, aussi mince qu’un souffle, se faufile dans les interstices de la grisaille comme dans les trous d’une passoire. Pas vue, pas prise. Elle lustre les verts qui foncent et métamorphose les gouttes de rosée en poussière de diamants.
Pousse café en ligne droite
Perspective de chaises en teck disposées autour d’une table lourde à l’heure de la sieste. A travers les barreaux de bois, un deuxième plan aux lignes fuyantes : deux murs de pierre enserrent un portail en bois vert, le premier ondule en vaguelettes de tuiles rouges, le second se dissimule derrière le foisonnement du laurier rose. Au troisième plan, un poteau en béton soutient la ligne électrique. L’érosion des mauvais temps le ronge à quatre mètres du sol, l’amertume du sel le grignote sur la voie du ciel. Uni à son flan, un câble noir se déroule sur toute sa longueur. Un filin jaillit : perpendiculaire, il croise la puissance rectiligne, s’ancre au mur de la maison d’en face, barre le tableau de sa présence indélébile. Sur le toit délavé, un rejet de plante verte s’est coincé entre deux tuiles, un peu comme une feuille de salade entre deux dents. La réalité est plate sous la lumière crue.
Le chat et le papillon au goûter
Deux oreilles pointent entre les herbes chauves. Le cul du chat se détache dans le cadre de la fenêtre, membres guidés par des fils invisibles, queue levée, corps figé à l’ombre des graminées anarchiques. Un pissenlit jaune brise l’enchevêtrement. Il éclate de joie, caresse la tête du chat, se tord vers le mur de pierres sèches.
Temps de pause long.
D’un bond se matérialise, d’un bond se volatilise, la grenouille verte est de sortie. Le chat, connu et reconnu, rampe vers la rainette à pas pantoufle,
72 images secondes, soft and low,
dépose cul dans herbe, dissimule robe rousse, s’éclipse.
La fleur solitaire s’assombrit avant que la détente du corps ne la souffle. L’animal se dresse vertical, bat des pattes, claque des griffes, il assomme, il tue… Derrière la vitre, vu dans un éclair, les ailes blanches d’un papillon.
La peine de mort a sonné à l’heure du goûter.
Théâtre d’ombres en soirée
Les maigres troncs d’eucalyptus jouent la danse des mille bras. Les frêles feuilles du laurier disposées en épi et dépourvues de rose, entament la danse des milles doigts . Ils s’organisent en armée fantôme. Au gré du vent, ils se déplacent sur le mur en pierre du théâtre d’ombres dans deux lents mouvements de balancier, vertical pour le laurier, horizontal pour l’eucalyptus. Sur le mur blanc de la maison d’en face se projette l’épais poteau de béton, pilier du spectacle. Des jouets de bain en plastique se serrent les uns contre les autres dans une valisette transparente. On devine la pieuvre verte, le pingouin noir et blanc, le coquillage orange. Un tapis de douche gris sèche sur une chaise en teck. 19 heures, l’enfant parait dans le cadre de la fenêtre, cheveux humides, boucles plaquées par les dents du peigne, une fraise dans la paume ouverte, un lourd arrosoir jaune dans l’autre main. Il le traine comme on traine un chien en bois. Le pyjama a une tache de terre.
Plaisir à vous lire, merci.