Le ciel s’affirme en son absence, ou plutôt en cette indétermination entre bleu et gris qui repousse toute saisie par les mots et peut-être la pensée, reste ce mélange indistinct mais vivant qui nous rend la vision de l’air, ses infimes variations, cet imperceptible aura qui entoure, le clocher des Augustins ni bleu, ni gris, ni blanc, mais tout cela à la fois, comme si un doigt avait estompé légèrement la nue pour faire venir en avant, impératives malgré l’imprécision de la lumière pauvre, les pierres fatiguées des rudes consoles qui élargissent son plan carré pour que s’y pose l’octogone percé de hautes fenêtres, la flèche plantée en peu en retrait sur la terrasse supérieure, ses facettes godronnées et la cage en fer un peu de travers de la cloche, et les yeux se rivent à ce surgissement au dessus de la cohue des façades en blanc usé des maisons.
Une marche un peu plus rapide ou préoccupée, sous la fusée blanche que tracent dans le bleu faux du ciel la cohorte de petits nuages, qui parlent de lumière en la tuant, et le regard ne se lève qu’en dépassant pour une fois le carrefour, ignore les maisons, l’oeil attiré, à gauche, par l’auvent des petites halles de la place, réduit, dans cet éclairage qui efface la charpente, à une sombre forme ovale venant presque heurter en la désignant la base du clocher des Augustins qui,de l’autre côté de la rue, s’élance de trois quart à l’assaut du ciel, au dessus de la rangée d’humbles façades, comme une stèle irrégulière, une flèche pleine d’allant et noyée d’ombre sur laquelle se distinguent à peine les grandes aiguilles de l’horloge, la silhouette du ressaut avant l’octogone, le squelette de fer du couronnement, la petite sphère et le fanion qui entrent dans le nuage.
Dans le bleu noir, le presque noir, des premières heures d’une nuit d’été, les yeux éblouis par les lumières cueillies et reflétées sous les parasols ouverts au dessus de la brume des convives que l’indifférence du regard rend indistincte, par dessus ce brouillard rouge, doré, les lueurs bleutées, le verbiage des signes, au delà des petites enseignes lumineuses, négligeant soigneusement la température qui s’affiche en chiffres verts suspendus au travers de la rue devant la pharmacie, tentent d’accommoder leur vision rivée à la forme sombre du clocher des Augustins qui se dilue dans la nuit, point fixe indiquant l’ouverture de la place des Carmes, la fin du louvoiement, des évitements, de la marche dans la foule bavarde, boudeuse, joyeuse, ennuyée…
Une plaque en saphir lumineux du Cachemire tenant lieu de ciel, la chaleur de l’été pesant sur la nuque et vrillant le fond des yeux, les pierres des façades dans l’ombre noire, ourlées, pour les plus hautes, d’une frange dorée, les rangées de tuiles canal des petits toits en contrebas séparées par des lignes noires, le haut du clocher des Augustins plaqué sur l’horizon, nourri, pétri par la lumière qui dessine les formes irrégulières des pierres à contre-jour, percé comme par un point d’exclamation dédié à la force de l’été par la fente des deux hautes fenêtres se faisant vis-à-vis… Chaque godron de la flèche écourtée se dessine contre ce bleu royal. La cage de fer de la cloche est un dessin tracé par un fin pinceau, au dessus duquel s’épanouit l’azur sans trace humaine.
Le bleu lumineux et doux du ciel de la fin d’après-midi au dessus de mes pas, frappant les façades blanches des maisons du portail Matheron, l’ombre des façades en fuite de la rue… La tour des Augustins se découpe au dessus, frappée par la lumière qui souligne les pierres, les chiffres et les aiguilles de l’horloge au dessus des consoles fortement découpées supportant le clocher octogonal traversé par une traine effilochée d’un blanc lumineux sous la flèche qui s’élance pour retrouver le bleu. L’oeil est attiré, plus loin, là où les murs de la rue Carreterie se rejoignent en formant un angle aigu, par une montagne de blancheurs boursoufflées de gris bleuté, une superposition de nuages bienveillants d’où s’échappent deux petits points blancs venant à notre rencontre.
Une fin d’après midi en bleu sourd, tendrement, presque imperceptiblement, jaspé. Les façades qui marquent le portail Matheron, face au soleil, adoucissent leur blancheur, se crèment, et les façades de la rue retrouvent leurs formes, leurs détails, noyées dans une ombre lumineuse. Les distances, l’air sont redevenus visibles. Le clocher des Augustins s’est éloigné, se fond dans la lumière affaiblie, devenu plus discret, moins impératif que les façades du carrefour. le petit fanion de fer qui le surmonte répond en noir à la silhouette d’une caméra accrochée à une façade au premier plan. Du lointain de la rue Carreterie monte, trouée par le cigare rouge du bureau de tabac, la brume sombre d’une nappe de nuages qui nous envahit doucement en se teintant de mauve.
image © ßrigitte Célérier – Avignon
je retrouve tout ce que j’aime dans ton écriture précise et délicate, mes horizons j’aurais aimé les écrire comme toi
Merveilleux, Brigitte, tes impressions de peintre ! On a envie de peindre d’après tes tableaux. J’adore !
Que c’est beau ! Ciselé. Du travail d’orfèvre. Si j’étais un peu audacieux je me permettrais de dire que ça pue la littérature par ici ! Merci Brigitte.
merci Caroline
mais Caroline, Isabelle, Camille ça pue surtout l’extirpation de quelques unes des photos prises lors d’u trajet assez familier
Du lumineux, du doux…
mais est-on sur terre au fait ? on se demande… les pierres des bâtiments à contrejour et votre ville, votre voix, votre résonance, Brigitte, toujours à entendre… car elle laisse trace
à vous retrouver toujours…
on est très rudement sur terre parfois… et ça cognait rude la chaleur cet après-midi au bord du fleuve
Je suis enveloppée par votre voix. Votre texte me laisse un goût doux, fin, touche à tous les sens. De la dentelle!
c’est trop gentil Lisa…
Par petites touches, tous petits aplats de couleur pure. Avec un pinceau cela se voit. Avec votre stylo, Brigitte, cela se ressent…