Les fenêtres donnaient sur le jardin. Au premier plan, il y avait de l’herbe, puis un petit massif rond de glaïeuls et de lupins, à droite un petit rosier colorait le mur entre les deux fenêtres de l’autre aile de cette petite maison. Après il y avait un grand rosier rouge, qui gardait la porte verte du garage. Au coin du passage qui permettait l’accès au garage, commençait une plate-bande, faite de brique rouge enfoncé dans la terre à quarante-cinq degrés, à l’abri de ces briques en alternance il y avait des taches de lavandes ou des bouquets d’œillet d’inde. Trônait dans cette platebande, un lilas, qui n’avait plus que des feuilles à cette saison, quelques petits rosiers rouges et roses vivaient à son ombre légère. Derrière le lilas, il y avait un muret en brique d’un mètre de haut qui était rehaussé d’un grillage métallique, on apercevait à travers lui le grand pré du voisin. Les pommiers qui l’habitaient commençaient à entasser des fruits à leurs pieds. Au fond du pré, une grange grise en tôle métallique découpait le ciel bleu. Des hirondelles passaient, les petits oiseaux noirs annonçaient une belle journée, le soleil viendrait bientôt éclairer ce monde paisible.
La pluie goutte du grand rosier, un petit ruisseau descend au garage et passe sous la porte. Les glaïeuls, les lupins et les roses sont encore plus beau, nappé de la brillance liquide, ils ne sont plus précis dans leur contour, ils deviennent : tâche de couleur. La pluie change les distances, le monde devient plus petit, resserré. La tôle grise du hangar arrête le regard, le gris de la tôle forme un aplat sur le gris du ciel, un peintre est peut-être passé par ici. Notre notion du temps qui passe est aussi modifiée, tout s’étire. L’attente de la fin de la pluie, est une attente calme et apaisante, face aux aléas climatiques, on ne râle pas, on sait en nous que c’est inévitable. Quand la pluie cesse, on est récompensé, on a vécu cette épreuve, on a vu l’eau tombée du ciel, et maintenant la vie peut reprendre. Alors comme une récompense, toutes les plantes, tous les objets, brillent aux rayons du soleil, nous éblouissant presque.
La nuit tous les chats sont noirs. L’espace entre le grand rosier et le mur est habité. Des ombres vivent là. Elles courent sur le mur puis disparaissent comme une taupe dans la terre. Le muret qui nous sépare du pré, devient une grande barre noire horizontale et infranchissable, derrière laquelle les pommiers guettent, abritant dans leurs branches touffues d’autres espèces nocturnes. La grange sombre, on la devine, masse foncée sur un ciel noir, elle devient monument ou des rites sataniques naissent. Dans la zone qui est à la limite de la lumière électrique et des ténèbres, rampent des bêtes. Alors je reste à l’intérieur, nous restons l’un contre l’autre, méfiants.
Le gazon est terne. Le rosier n’est plus qu’un squelette de fil de fer. Les glaïeuls ont disparu, on devine à la place, quelques pousses vertes, des tulipes qui prennent leur temps. Le temps est maussade, alors on guette, on espère, un mieux. Les pommiers bourgeonnent, ils ont perdu de leur prestance, là nus, ils sont timides. Le ciel de plomb absorbe le hangar, comme s’ils étaient faits de la même matière. L’air est frais, brassée par le vent, il anime du mieux qu’il peut les quelques végétaux sur lesquels il a prise. Les massifs sont retournés, trace du travail de l’homme. La terre marron foncé, ouverte, respire.
Le grand rosier a disparu, c’est le premier qui nous a quitté. Il était vieux, je ne savais pas que les rosiers mourraient, aussi. Le massif rond du centre est devenu de l’herbe. Les briques de la platebande n’ont plus rien à protéger, juste quelques mauvaises herbes. Le muret, donc les briques se descellent, maintenant sépare deux temps. Un temps passé qui a disparu, et le temps qui continue son chemin, deux espaces temporels, juste séparés par un muret. Il n’y a plus de trace ici, du vide, que des souvenirs qui viennent se superposer à la réalité. Puis un léger frisson vous parcourt le dos. Alors ce petit désert, on le quitte, pressé. Ce temps passé, on le retrouvera.
On demeure attaché à ce rosier qui a donné tant de fleurs… mais il reste le lilas forcément. Un lilas, c’est increvable, ça défonce le temps… mais c’est l’hiver, on ne reconnaît pas son feuillage, mais il est là pareil à un souvenir
Merci Laurent pour cette délicieuse promenade qui m’a retenue au seuil de quitter l’écran…
quelle que soit l’heure et quel que soit le temps, l’aime aussi cette plate bande (pour les lupins et les morceaux de brique)