C’est le bout du monde. L’eau est à des centaines de mètres, au-delà de la lande. Elle arrivera ici tout à l’heure en remplissant l’étroit chenal, en bout de parcours. Deux bateaux attendent que la marée monte. Un canot à moteur, marqué OVNI en lettres bleues est presque couché. Un minuscule voilier lui fait face, de l’autre côté du Fliers. Le sable a une couleur sombre. Les bateaux y sont envasés. Prennent-ils vraiment la mer ou sont-ils amarrés là, comme les souches des arbres, comme les bruyères de mer qui ondulent tout autour ? Sur la passerelle de bois qui longe le port de poche, un seau rouge vif, oublié par un enfant. Au bout de la passerelle, surplombe la terrasse du café restaurant. Il n’y a personne.
De l’eau, il n’y en a pas. Pourtant, plus loin, à peine plus loin, elle encerclera dans quelques heures, subrepticement, lentement, des bancs de sable qui se pensaient à l’abri. Les deux bateaux attendent là, que leur lit se liquéfie, que s’installe un espace où flotter et voguer. Le sable est gris comme le ciel qui s’annonce. Le bateau marqué OVNI lui offre son flanc comme un animal qui dort. Le seau a été poussé plus loin par le vent, au bord du quai, il semble concentré, comme s’il s’apprêtait à sauter. Sur la terrasse, une mouette s’est posée sur le bout d’une table et picore des miettes oubliées.
L’eau est arrivée avec le crépuscule. Le ciel, échancré de nuances orangées et mauves, accentue la sensation de havre. Un bateau s’est ajouté au tableau. Il a pris place devant le petit voilier. Des mouettes tournent autour de lui, se posent sur son moteur, en décollent en piaillant comme des gosses. Le jour est tombé, on ne lit plus distinctement OVNI sur la coque du canot. A bord, un homme et une femme s’affairent. Le seau rouge a sauté, il flotte à proximité. La femme se penche pour l’attraper. Sur la terrasse qui surplombe, un vieil homme est assis, qui regarde l’horizon en tirant sur une cigarette fatiguée. Un bruit de moteur le sort sa contemplation et il fixe l’embarcation qui s’en va.
Le sable se joue de la marée à venir, il se gorge d’une humidité annonciatrice et s’alourdit. Ce sont d’abord de petites flaques qui remplissent en les caressant les sillons creusés par elles à leur précédent passage, c’est un mouvement presque imperceptible, c’est un clapotis si ténu qu’on doute de l’avoir entendu. Le canot est rentré au port et frémit, laissant le sel le lécher. Le chenal se remplit lentement, par vagues successives, transformant le paysage. Le soleil scintille à la surface. Sur la terrasse, quelques allées et venues. Un couple mange des moules et demande de la bière. Son regard à elle, se pose sur l’eau et s’en détourne, elle est éblouie.
Tout ce que vous écrivez est incroyablement fluide et vivant, je crois que je vais acheter vos livres !!!