Un gros nuage rose tendre au-dessus de moi, de ma tête, de ma table, de mon bout de jardin. Des bourgeons éclatants de sève et de douceur. Des fleurs soyeuses, aériennes, tremblotantes, accrochées sur les rameaux noirs finement torsadés. Un nuage rose laissant traverser le bleu du ciel par des espaces dentelés. L’arbre est bien ancré dans mon bout de jardin, s’épanouit un peu plus chaque année, domine le paysage que j’aperçois à travers ses branches. Rivière aux eaux vertes serpentant en tourbillons dans des gorges escarpées, prés vert tendre, vignes en devenir, couronnes de falaises blanches tourmentées. Parfois une pluie de pétales roses sur ma table du petit déjeuner et des abeilles qui butinent en bourdonnant. C’est le printemps.
La couleur pourpre a relayé la douceur rose. Un toit de feuillage dense, rouge feu, lie de vin, ombrage fraîcheur, parasol vivant protégeant les grandes tablées de vacances et de fêtes. Témoin des photos de famille et des feux d’artifices, des siestes en chaise-longue, des dîners romantiques à la lueur des bougies. Paravent aussi quand le vent du nord souffle dans la vallée. Rivière aux eaux en souffrance, prés desséchés, champs aux épis blonds, coquelicots et bleuets, vignes gonflées de raisins dorés, falaises immuables dominant le paysage. On est en été.
Les feuilles changent de teinte, rouge foncé, rouille, cuivre, doré, brun ou gris, elles perdent leur vigueur, se détachent, tombent doucement par terre, couverture éphémère encore flamboyante sous le dernier ciel bleu. La rivière reprend des forces, les pluies d’équinoxe inondent chemins et berges, le feuillage des ceps dans les vignobles virent au rouge, les raisins sont coupés et ramassés dans les hottes, acheminés à la cave, les prés ont rendu leur foin, on attend le regain. Les falaises blanches veillent. L’automne est là.
Et l’hiver arrive. Le soleil se lève tard sur la vallée et se couche tôt derrière les causses. Parfois un brouillard blanc épais coule dans le creux de la rivière, remonte les flancs de montagne et avale le paysage jusqu’aux crêtes. La mer de nuages…merveille pour celui qui la voit du sommet, coton ouaté blanc froid humide qui plane pendant des heures et frigorifie la vallée. Le vent froid sèchera, balaiera, assainira, le soleil percera sans force, la neige bien plus rare que la pluie couvrira le paysage d’une couche protectrice et posera des problèmes sur les trajets journaliers. L’arbre nu, solide, bien ancré au milieu du jardin, résiste aux tracas hivernaux, accueillant toile d’araignées et colonne de fourmis, mésange, rouge-gorge et merle qui viennent picorer les baies rouges sur l’arbuste voisin. Rarement écrasé par une épaisse couche de neige, il ploie ses branches vers le sol et attend le dégel et le renouveau.
Bientôt, la terre se réchauffera, les premières fleurs du printemps pointeront leur pétales blanches et jaunes, l’herbe poussera et mon arbre éclatera à nouveau sous une profusion de nuages roses.