Trois soeurs, unies comme les doigts de la main, s’étirent indolentes le long de la Manche, quelque part au nord ouest du pays. Ces trois soeurs, ou plutôt trois villages -Eu ; Mers-les Bains et Le Tréport, n’ont rien d’extraordinaire et ressemblent fort aux villes côtières du Nord de la France, ternes et bruineuses, par avarice de soleil, tranquilles et ennuyeuses, comme un jour sans joie. Bref rien de très attirant dans ce paysage rugueux à l’image de leurs habitants, pudiques et chaleureux. Il y aurait pourtant beaucoup à dire sur chacune d’elles mais on ne retiendra ici que le destin de Mers-les-Bains. Elle est prise en tenaille, arrimée solidement aux deux autres, entre Somme et Bresles. Elles ont un sort commun, et ni les drames, ni les tempêtes humaines ou les vicissitudes grandes ou petites n’ont eu raison de la solidarité et de l’amitié des gens de mer habitant ces trois villages. Mais un jour, quelqu’un dans un ministère, a décidé que l’une de ces villes-soeurs serait picarde et les autres normandes. Par décret, un bras de mer, un cours d’eau a séparé Mers-les-Bains des deux autres. Rien de dramatique puisque ce sera le lot de tant de villages français. Mais les deux normandes ont obtenu le meilleur partage. L’une obtiendra le prestige car elle aura accueilli un roi de France et une impératrice anglaise en villégiature, tandis que la seconde captera la richesse des joueurs de casino. Mers, la picarde, petit bourg de pêcheurs, est devenue un joyau de la Belle Epoque, un village de bains de mer aux cinq cents villas, reliée à la capitale par une ligne de fer, qui verra affluer des hordes de citadins trop heureux de passer une journée à la plage. A elle le tumulte et l’inconfort d’une populace bruyante. Village dortoir, la picarde, retrouvera à la nuit tombée, un peu de sérénité bercée par les embruns nocturnes d’une mer toujours fraîche, tandis que des noctambules indolents, remplaçant les nobles et les élégantes de cour de naguère, s’épancheront dans les restaurants et le casino du bord de mer de la soeur normande. Aujourd’hui ce tourisme de masse s’est reporté vers d’autres lieux à la mode. Adieu Mers la désuète, la ringarde. Oubliée? pas tout-à-fait. Mers reste une ville balnéaire toujours prisée des gens modestes, de Paris et d’ailleurs qui, après un bain revigorant, suivant les pas de leurs aînés fortunés, déambulent en famille ou en couple le long du littoral pour y déguster des moules-frites et miser quelques euros dans les « bandits manchots » tréportais.
La falaise crayeuse de Mers, d’une blancheur d’albâtre, s’étire à l’infini et fuit dans les terres. Rien ni personne ne peut la retenir, sauf peut-être le temps. Les coups de boutoir des marées, le déchaînement des tempêtes et le ravinement des eaux de pluie, mettent à mal cet édifice majestueux, qui toise les hommes et la mer depuis des temps immémoriaux. Des galets, s’agrègent, s’accumulent, s’égrènent au fil des années, tombant au pied de la falaise comme des peaux mortes, témoignage des mues des années passées, annonciatrices d’un lent déclin programmé. Les vagues des marées, dans un rugissement jamais assouvi, charrient, polissent et broient ces galets dans un jaillissement d’écume. La mer découvre à marée basse un banc de sable qui enlise les bateaux, mais fait le bonheur des promeneurs bottés ou pieds nus, des bâtisseurs de châteaux et des surfeurs.
La falaise ridée et burinée est là l’image des mersois, ne laissant rien transparaître, indifférents aux éléments qui les assaillent, par habitude et par lassitude. La muraille grêlée d’innombrables galeries naturelles sont d’infinis refuges pour les oiseaux migrateurs, d’ici et d’ailleurs, nichant et couvant à l’abri des intempéries et des agressions de toute nature. Une église, dédiée à Notre Dame de la Falaise, trône au sommet, ridicule chapeau coiffant l’ensemble, offrant aux hommes un havre de paix et de réconfort en lui rappelant le sublime et le tragique de sa condition. Un chemin de randonnée, longeant l’esplanade du bord de mer nous y conduit en lorgnant avec envie ou dépit les innombrables villas-dortoirs, Malibu Beach à la picarde, bien vite oubliées devant le grandiose panorama s’ouvrant à nous, en contrebas, la plage et ses deux villes soeurs réunies en un regard.
Bottes, seaux, râteaux, couteaux et cuillères, épuisettes et haveneaux, en famille ou entre amis, chacun s’affaire, à marée basse, de ramasser, suivant la saison, des moules et des bulots, des crevettes ou des tourteaux, des étrilles ou des homards. Tous marchent la tête baissée, tels des limiers suivant une piste, furetant et scrutant sable et rochers, creusant et fouillant au moindre indice de bulle apparente dans le secret espoir d’y dénicher le coquillage convoité. Malheur au crustacé qui aura respiré au mauvais moment. Le butin est souvent maigre et jamais à la hauteur des efforts déployés, du moins pour les novices et les pêcheurs du dimanche. Certains crustacés se défendent plutôt bien, rappelant au besoin, par une pincée bien sentie au pêcheur maladroit, que déloger un crabe sous une pierre n’est jamais chose aisée. D’autres escaladent des rochers glissants, enrobés de lichen et de mousse, pour en arracher des moules qui y sont accrochées. A la main, au couteau ou au râteau, sur une jambe, à genoux, en position acrobatique, chacun s’évertue, à en ramasser des bouquets, si possible avec les coquilles ouvertes, réputées les plus goûteuses. La collecte ne dure pas longtemps, car très vite, la marée montante fait refluer ces pêcheurs-cueilleurs vers la digue, qui charrient avec eux des seaux et des sacs lestés pour les plus avertis, tandis que d’autres rentreront bredouilles. Peu importe, on a pris un bon bol d’air iodé pas trop pollué et la poissonnerie est encore ouverte. A défaut de moules, il y aura du hareng au menu.
C’est décidé : je vais passer une journée à Mers les Bains. La gare (routière, je suppose) est à côté de la plage. Votre texte donne envie d’aller y manger des moules frites ! Merci.
oui en effet…il est possible que la navette ferroviaire soit remise en service. Bon voyage et merci