La bande grise découpe une ligne droite sur plusieurs mètres avant de marquer un virage serré vers la droite. La route a été creusée dans la hêtraie, fracture horizontale dans la verticalité végétale. Le ciel, d’une clarté qui vire au blanc, forme en miroir un ruban au-delà des frondaisons, grignoté de part et d’autre par les branches incurvées se rejoignant par touches au-dessus de l’asphalte. A droite, un parapet en granit mangé de mousse marque la rupture au-delà de laquelle l’ombre est percée de pointes de lumière et barrée de lignes verticales sombres. Les feuilles sont suspendues par grappes touffues en dégradé de verts. La lumière crue vient les frapper sur la partie supérieure par étages. Quelques flaques seulement éclaboussent le sol, comme des jets de peinture projetées au pinceau. A gauche, le talus est couvert d’un mince tapis brun, puis d’une couche plus épaisse de plantes d’essences diverses plongeant dans un fossé avant de remonter en escalade vers les troncs accrochés à la pente. Les ramures forment de ce côté-ci un mur d’une opacité duelle.
La route n’est plus qu’un fond de toile. Un pointilliste a moucheté l’asphalte de touches rousses, amoncelées en deux bandes qui courent vers un point perdu dans la brume. Il a maquillé d’ocre et d’ambre les branches qui se tendent en panaches gradués au-dessus du sol. Les troncs se détachent du halo en lignes sombres, tortueuses, têtues. Le paysage est nimbé de lumière diffuse, à peine réfléchie par le goudron humide. Une ligne de clarté fantomatique traverse l’ensemble jusqu’au point de fuite, d’où l’on s’attend à tout moment à voir surgir un cerf.
Lignes gris anthracite crèvent fine couche de neige durcie par la nuit. Morceaux de glace sculptés par les roues des tracteurs et des 4×4. Empreintes d’oiseaux, de cervidés, de mammifères, sillonnent l’ardoise crayeuse en pied de nez, hors trajectoire. Branches, tiges mortes éparses sur les bas-côtés. Voûte nébuleuse. Air charnu de froid. Arbres dépouillés, nus, rachitiques. Tendus vers les nues. Dressés au fusain.
Blanc. Tout a disparu, la route, le fossé, le parapet. Blanc. Le chasse-neige n’est pas encore passé. Blanc. Léger. Edredon géant bordant le ruban. Blanc. Et bleu dans les creux. Et rosâtre dans l’ombre esquissée des troncs. Entrelac de branches alourdies de blanc. Doublées dans leur épaisseur. Dotées d’une ombre inversée. La neige colle même à la verticale des troncs noirs, dans la rugosité de l’écorce. Le ciel, le sol, l’air. Blancs.
L’obscurité est épaisse. Rien ne perce les ombrages. Pas même une lumière d’habitation qui traverserait la forêt pour donner un repère. Pas de petite maison accueillante de conte de fée. Tout est plongé dans le secret de la nuit. On imagine les animaux invisibles qui se déplacent furtivement. Seule une trouée découpée entre les cimes des hêtres laisse apercevoir le ciel profond, presque violacé. Nulle lune. Mais peu d’étoiles. Quelques-unes à peine, qui clignotent faiblement, voilées par l’atmosphère.
Cette route est celle que je m’en vais fouler en marchant, le nez au vent, ou en courant, dès que j’ai besoin d’air et de beau. Je l’emprunte aussi en voiture, dès que possible, évitant les axes plus fréquentés. Je l’ai parcourue pour penser, mettre mes idées en ordre ou au contraire les laisser se délier, j’y ai cherché l’absence de voix humaine, j’y ai croisé des renards, des chevreuils, des lièvres, de nombreux oiseaux, un hérisson un jour qui trottait avec détermination le long de la route vers une destination inconnue, et m’a snobé superbement. Bref, ce lieu m’a semblé approprié pour tenter de suivre Gracq. Je me suis appuyée sur les photos que j’en ai pris tout au long des saisons.
J’aime beaucoup tous les textes et les photos aussi. Ils me donnent envie de partir sur mes chemins favoris. Merci à toi.
Merci beaucoup Martine, j’aimerais bien découvrir vos chemins
Suis venue du côté de chez vous (je vois que vous n’êtes pas si loin de chez moi à vol d’oiseau, jeveux dire géographiquement)
et j’ai aimé la promenade en toutes saisons, la silhouette du cerf au point de fuite
au fil du texte, l’écriture se libère, on respire nous aussi
merci pour cette belle proposition et à se revisiter bien sûr
Merci François. Oui les derniers tableaux ont surgi bien plus vite que le premier. Où êtes vous exactement ? Dans l’Herault je crois…
Très beau journal d’impressions. Beau dialogue entre l’image et le texte.
Merci Benoît. L’exercice n’était pas facile tant j’ai la sensation de manquer de mots devant la réalité.