Chaque pièce à la même ouverture sur la lumière. Une porte-fenêtre vitrée qui du fond de l’obscurité attire, magnétique, le regard. Fermées, elles entassent les bruits de la ville sur la terrasse. Ouvertes, s’engouffrent les mille notes du flot puissant que crache la fontaine au centre du square. Jet d’eau à double corolle. L’une s’étale et cherche à arroser le rebord en béton du bassin sur lequel le promeneur s’arrête. L’autre monte aussi haut que possible et retombe pleine de fierté liée à son exploit. Quelle que soit la saison elles font partie du tableau, encadrées de part et d’autre par le tronc des tilleuls, en bas par la rambarde en béton, massive, grisâtre, de la terrasse, en haut par ce qui peut paraître du ciel. En fond une autre rangée de tilleuls surmontée par le dernier étage d’un immeuble assez massif
Le matin, pas de jet d’eau avant huit heures et demie et le soir après vingt et une heures. Depuis la chambre, en juillet, la fontaine n’apparait pas, tant la végétation occupe d’espace dans le cadre de la fenêtre. En bas, une fougère rayonnant dans un pot en pneu rapporté d’un souk du sud Marocain, un géranium sauvage aux fleurs mauves abondantes dans un grand pot en terre cuite, plus haut un hortensia paniculata en pleine floraison qui cache à moitié un banc en bois peint vert anglais et sur le côté dans une jardinière en pin un rosier aux petites fleurs blanches, parmi des bambous nains. Et de grands bambous. Une verveine largement épanouie aux fleurs comme des gouttes de sang égaie le béton vieillot de la rambarde. Au-delà des branches de seringat se croisent et font comme un rideau au-travers duquel apparait l’autre rive de la fontaine. La lumière du soleil reste centrée sur le bassin. Les tilleuls maintiennent de l’ombre sur la terrasse. Le matin, depuis la chambre on oublie la ville.
Le soir, au premier plan, abrité à l’ombre crépusculaire du bâtiment, un entrelacs de feuilles diverses au graphisme fouillis. Mille verts en rideau végétal. Plus loin, derrière la rambarde patinée par la mousse, un trou d’une lumière incandescente traversé par des gouttes d’eau argentées bien alignées qui défient la pesanteur. Les fenêtres, qui apparaissent au-dessus des tilleuls, brûlent, miroirs d’un ciel embrasé. Le regard est aimanté par leur éclat, clins d’œil de vitres qui chassent brillamment toute intrusion. Un coucher de soleil sans soleil. Un bassin sans jet d’eau.
l neige sur la ville. Il neige sur l’esplanade. Il neige sur la terrasse. Le peintre efface les couleurs. Et multiplie les noirs les blancs et toutes les nuances de gris. Pas de jet d’eau, juste un filet qui sort de chaque hampe métallique pour éviter le gel dans les tuyaux. Plus le bruit de l’eau. Ambiance feutrée. Les sons de la ville parviennent comme atténués par de la ouate. Les flocons tombent serrés. Au-delà du bassin aux contours estompés les tilleuls d’hiver ont disparu et on devine à peine les bâtiments tandis que par ici les arbres nus rayent de leur noirceur le paysage redessiné par la neige. Les lampadaires à petite têtes plates, sont d’une raideur en leur verticalité qui contraste avec la chute fantaisiste des flocons. Les branches elles-mêmes tracent des circonvolutions joyeuses dans l’encadrement de la fenêtre.
Au cœur de la nuit, celle que l’on dit noire, plus de lumière accrochée aux arbres, aux immeubles, au bassin. Que des masses sombres et épaisses au sein d’un voile obscur qui recouvre l’esplanade. Les étoiles en boudent la déchirure au milieu des tilleuls. Un vent léger balance les buissons en deuil faisant apparaître et disparaître des silhouettes, objets d’histoires inquiétantes. La ville développe une politique plus responsable vis-à-vis de l’environnement et a diminué l’éclairage de nuit. Depuis l’intérieur, éteindre les lumières pour décrypter le tableau noir sur fond noir de la ville. S’inventer un jet d’eau