Cadre ouvert sur paysage strié flou derrière un rideau d’averse délugienne. En arrière-plan, les premiers arbres de la forêt, la rue qui monte. A gauche une maison fleurie de rouge. A droite une maison haute avec deux yeux de bœuf larmoyants de grisaille, volets et portes en bois, façade beige salie par les intempéries, deux lampadaires gris, plus près à gauche l’avancée de 2 balcons, en contrebas un jardin. Des feuilles de vigne débordent sur la rue en se balançant crânement, devant les vignes fleurs orange et jaunes qui pétalent d’insolence, gerbe violette floue, feuilles de groseiller au pied de la fenêtre, pas de voiture, pas de passant, c’est la pluie qui commande, clapotis sur goudron, la rue lessivée.
Cadre fermé. Rectangle d’une verticale de 80 cm sur une horizontale de 40 cm, creusé dans 46 cm de profondeur du mur. Un mur côté Nord, qui protège, qui isole en cas de canicule. Deux pots pour agrémenter la profondeur. Un bocal sombre style récipient d’herbes d’apothicaire. Sur l’étiquette « BABYLONIA » et en plus petit « FRENCH SUMMER TEA ». Au bas de l’étiquette « MARIAGE FRERES » . Toute une histoire. Trois voitures. Un coupé noir qui descend et s’arrête au milieu de la rue et qui attend, quelques instants plus tard une voiture banale arrive. Les deux voitures sortent du cadre. Juste un peu plus tard une belle voiture rouge. Des poubelles grises devant la haute maison à façade beige. Le camion benne passe en fin de matinée. Derrière le bocal BABYLONIA, un pot de confiture de couleur orange, de taille plus modeste. Sur la vitre, des traces de respiration de Luckycat. S’il revenait maintenant le cadre s’ouvrirait avec joie. Soudain lumière et ombre qui s’effacent à nouveau en fondu de gris. Tic tac à l’intérieur. Vie au ralenti.
Cadre ouvert, position maintenue grâce au pot FRENCH SUMMER TEA. Chat dans le cadre. Patte léchée, patte sur la tête. Patte gratouillant les poils blancs de la gorge. Nettoyage des pattes, jusqu’au bout des griffes. Pause et immobilité. Patte grattant derrière l’oreille. Immobilité et disparition. Restent le rouge fleuri de la maison de la rue qui monte, les poubelles au couvercle orange, les zones de lumière et d’ombre. Structure rectangulaire projetée sur le goudron. Régularité de traits horizontaux reliés par deux lignes plus épaisses. Un chat traverse la rue, funambule sur cette passerelle d’ombre. En contrebas du pont, dans la pente, ombre démesurée d’un réverbère double, flore symétrique à longue tige, trop vite poussée la nuit. Un moineau sautille pas loin.
Cadre ouvert, ciel lumineux blaiteux, vert profond de la forêt en diagonale qui semble rejoindre le toit de la grande maison à façade beige, un chien aboie, c’est la promenade du soir. Verdure des vignes et des groseillers dépouillés de leurs fruits. L’orange fleuri résiste à la nuit qui tombe. Un cycliste peine dans la rue du fond qui monte. Deux arrosoirs vont passer une nuit blanche et attendent patiemment de sortir de l’anonymat sous l’éclairage nocturne.
Cadre ouvert. Mince rai de lumière au milieu de deux volets en bois fermés de la maison beige. Ciel gris clair. Cloche du quart d’heure. Deux points lumineux blancs et fixes devant le fleuri rouge qui a disparu. Silhouette sombre dentelée de la forêt qui rejoint le toit de la maison beige, maintenant gris foncé. Les deux arrosoirs attendent toujours leur heure de gloire. L’air est doux. Un couple de promeneurs se repose sur la petite balustrade du pont. Hors cadre, il y a les lumières du péage de l’autoroute qui accrochent leur regard. La rue disparaît dans la masse noire déchirée de la forêt. Restent les deux points lumineux blancs et deux fenêtres éclairées sur la maison beige. Cloche de la demie. Lumière ! Le jardin est sous le feu de la rampe. Et Luckycat au milieu des salades. D’un saut Luckycat à nouveau dans le cadre, se grattant, se léchant et immobile et qui repart dans la nuit.
Le paysage encadré dépeint une vie en tableau. Merci beaucoup !
Merci beaucoup Oceane pour ta lecture et tes impressions.
j’aime la précision photographique (?) cadre ouvert/cadre fermé et l’écriture parfois hachée des phrases nominales merci !
Merci beaucoup Cécile. Oui, j’aime bien les phrases courtes et nominales. Oui, il y a une intention photographique ou description d’un décor pour une caméra fixe. Merci pour ta lecture.
J’aime beaucoup cette vie au ralenti, les saillies des phrases nominales qui fabriquent de petits pas, des regards en coin qui ne souhaitent rien déranger, le flot précis des images, les vignes ! comme si, déjà annoncée, la phase du travail photographique en lien avec Annie Ernaux… Merci Martine !
Merci beaucoup Françoise. Contente de voir que ce que j’ai voulu faire passer a été bien perçu. Ca me donne confiance en moi. Je n’ai pas encore lu la proposition avec Annie Ernaux. Mais donc je suis dans le bon mouvement 😉
Il me reste encore à écrire la proposition « TU ». Merci encore pour ton partage de lecture.