Chaque matin la même lumière, le même éblouissement, le même feu. C’est l’aube d’été ouverte par les chants d’oiseaux — le bruit inouï qu’ils peuvent faire quand le ciel est encore sombre, marine, d’encre — l’horizon s’éclaire à l’est par un élan du jour. Au sud la nuit résiste, la terre est toute petite. Un ruban rouge s’épaissit au ras de la mer, soulève la masse grise des nuages : l’aurore. Au loin des silhouettes de cargos, une chose guerrière, une menace.
C’est un jour calme, limpide, hypnotique, le soleil déjà tiède, suspendu dans l’air sec, la mer étale. Il y a une lumière venue d’ailleurs, surnaturelle, ardente, qu’on croirait déboulée du soir, de l’or en suspension au-dessus de l’horizon. L’eau elle même semble alourdie de chaleur, sa brillance de rayonne surexposée, son parfum de peau ambrée. Ici monte un air moite, indolent, le temps s’arrête. Ici oublie la fin du monde.
Le ciel vaporeux, trop clair, délavé d’un soleil haut / blanc /aveuglant. L’île d’Elbe dresse au lointain sa roche cobalt. Là où la terre rencontre l’eau, monte une brume légère, tremblante. Sous le soleil un écran de mica. Surgissent les silhouettes fragiles de fantômes endormis, attendre leurs chants. L’ombre effilée d’un nuage, sa marbrure froide sur la mer lisse, une ligne de sable ensevelit les drames.
Le vent s’est levé, un fort libecciu. Depuis deux jours il chante, il charrie une odeur fraîche de large. Il s’approche de la mer, la caresse, la froisse, il la creuse comme une mémoire. Il fraye, il ouvre, il dénude le ciel, l’allège de nuages, le durcit de bleu. Il réveille la netteté des vagues, leur intensité d’aigue-marine, leurs ourlets d’écume. Il éclaire la côte d’Elbe, les pierres. Le vent ouvre les plis.
Dans le jour restant, dans la lenteur du soir, le maquis exhale la chaleur d’été en bouffées âcres. Le soleil passe derrière les monts, on sent le premier fraichissement. À l’est le bleu du ciel s’estompe dans les nuages, se gorge de tourbillons rose tendre, un crépuscule de papier buvard. L’Elbe mauve flotte sur l’eau dormante, drapée de sa gaze transparente. Au sud une langue de terre s’illumine, les roches replient en silence pendant que la nuit tombe.
Ça a commencé par une nuit soudaine, un air trop lourd, les nuages se sont chargés de carbone, une tempête de cendres s’est levée au dessus d’Elbe, lointaine et silencieuse, le ciel eut l’air de s’effondrer en dedans, la foudre a griffé l’obscurité, des feux se sont allumés dans les déchirures, ils ont éclairé la nuit d’un chaos grandiose, on ne voyait plus la mer.
Le ciel et la mer dissolus dans les ténèbres, le vent tombé, le ressac plus proche. L’étrangeté d’un frémissement orange sur l’horizon, une apparition. Un temps on ne comprend pas ce que c’est. Il faut sa lente ascension, il faut qu’elle reprenne sa couleur froide de lune, il faut qu’elle diffuse son halo pâle. Il faut son reflet comme une voie sur la mer plate, il faut alors guetter les ombres.
Codicille : forcément retrouver cet horizon, et comme la mer et le ciel peuvent se confondre, il est probable que ces fragments aillent rejoindre le livre
Magnifique.
ça me touche, petite fatigue sans doute au moment d’écrire, pour moi y a comme un manque d’air, y reviendrais peut-être
Comme vous face à l’est Caroline Diaz, les yeux sur l’archipel toscan. Admiratif je suis de vos écritures. Et plus je vous lis, mieux je mesure combien je n’ai rien vu à Erbalunga. Merci Caroline, vous m’ouvrez les yeux. Era ora !
cher Ugo, peut être n’avons nous pas la même urgence à voir puisque c’est ton horizon quotidien
Je partage ce ressenti, ce puissant manque d’air qui émane de ce paysage. C’est fort!
j’aime comme les commentaires nous éclairent, c’est certainement moi qui suis en apnée, merci Rebecca
J’aime toujours tellement les bords de mer, les rivages… ton cadre est magnifique
une réussite
(nous avons emprunté les mêmes fenêtres pour voir le monde… j’ai aussi choisi des marines…)
à vite, chère Caro
Chère Françoise, ce cadre a vraiment sa place dans mon projet, merci de ton retour, ça allège un peu les doutes, je file ouvrir tes fenêtres …
Somptueux. ( … crépuscule de papier buvard) et cette richesse d’impressions de teintes. Le regard qui dure … pensé à Monet dans ses séries de cathédrales ou de nymphéas
merci chère Nathalie, c’est l’horizon qui est somptueux à Etbalunga
Chère Caroline, vos textes comme un voyage ou l’on prend le départ l’esprit alourdi de bagages et d’où l’on revient léger et apaisé
Elle me plaît cette image, c’est au cœur du projet, je l’ai pas encore formulé et va bien falloir que je m’y colle à #L7, mais il est un peu question de ces bagages qui encombrent
(je suggère -mais on a déjà donné je crois bien – comme titre « tu n’as rien vu à Erbalunga ») (c) (enfin si, la paix) (merci – mais tu es déjà repartie…)
Vrai que Marguerite rode (quand tu sais que l’aïeule s’appelle Anne-Marie S), suis pas tout à fait partie, demain