Devant Guisambourg, au confluent de la rivière Courouaïe et de l’Approuague, le fleuve n’est que boue et remous, c’est un continent qui se déverse dans la mer. La vase s’échoue sur ses berges où poussent en abondance les palétuviers aux longues jambes qui lancent leurs fruits dans le limon gras et prospèrent s’ils s’y plantent fermement sans être entraînés par le courant. Il en reste toujours assez pour coloniser les berges que la marée peine à nettoyer ou parfois emporte brutalement avec les arbres. Le bourg avec son église et sa mairie sont établis loin des berges sur une petite élévation de terrain qui les met à l’abri de l’eau.
Le fleuve est dangereux on s’y noie en allant récupérer ses trappes à poissons, en rencontrant un tronc à la dérive venu de loin et charrié par le flot ou piégé par un remous. Le fond n’est jamais sûr et de profondeur sans cesse mouvante qui arrête les embarcations ou les projette sur les rochers qui bordent les rives au milieu des palétuviers. Il ne déborde pas au sens où nous dirions d’un fleuve français, c’est la marée qui remonte dans les terres qui sont elles-mêmes gorgées d’eau en toutes saisons. C’est la raison pour laquelle des canaux ont été créés et des digues et des coffres pour évacuer l’eau ou l’empêcher de remonter.
C’est le matin qu’il est beau quand s’élève la brume légère qui monte des eaux ou le soir quand les lumières du ciel se reflètent sur la surface de l’onde. Il devient d’or rouge, d’or rose, d’or brun, c’est une coulée d’or pur qui sort des forges des placers situés en amont. C’est de l’or natif liquide arraché aux entrailles de la Terre. Des oiseaux blancs, rouges ou de toutes les couleurs le survolent ajoutant à la féerie. Féerie qui est en passe de détruire ce qui reste de Guisambourg qui ne compte presque plus face à Régina plus en amont sur la rivière, plus proche de l’or.
Parfois des pécheurs s’aventurent à larguer un filet en son milieu (entre la berge et l’île qui se trouve en face de Guisambourg) comme s’ils voulaient barrer le fleuve. Minuscules créatures sur le dos mouvant du géant, on les regarde en tremblant de les voir chavirer et être engloutis. Ils sont habiles et rapides et savent d’un seul coup de pagaie parer le déséquilibre la plupart du temps.Toutes les berges sont mouvantes, il faut chercher le peu de terre ferme qui demeure. C’est là qu’est établi le degrad dont nous partirons au petit matin pour remonter jusqu’au confluent de la rivière Matatoni en face de Régina. M. Migue qui a une habitation sur la rive droite de l’Approuague ne se souvient pas de l’habitant qui cherchait à se procurer des voisins, mais il m’a promis de m’aider à chercher.
La nuit, le géant coule immobile et sans bruit, lourd de boue, de vase et de nuit, de fange en mouvement. Personne ne s’y risque de nuit sauf à être en fuite et vouloir échapper à quelques poursuivants. C’est la nuit que choisissent les marrons, les illégaux et les orpailleurs sans papier. Ils en réchappent parfois ou se noient. On ne le sait pas sauf à retrouver leur cadavre flottant ou pris au piège de la végétation des berges. C’est un géant qui dévore qui s’y aventure sans prudence, tellement large qu’aucun des fleuves de France ne peut en donner une idée même approximative.
Une description à coups de loupe. De belles amplifications (ampliations ?) pour peindre un paysage plein de couleurs.
merci.
Le tableau se fait récit et emporte : un fleuve fécondant qui devient l’image même de l’écriture. Belle manière de jouer avec la proposition de départ et de vous l’approprier et peut être de montrer la voix. Merci.
Étrange je voulais écrire : « la voie »…
la voix et la voie, en écriture c’est un peu la même chose.
Je me sers des propositions du cycle progression pour faire avancer mon livre et souvent ça marche, pas toujours.
Étrange je voulais écrire : « la voie »…
Quelle belle écriture couleur d’argile et de rouille qui ensemence toutes les visions que vous créez, fleuves et montagnes de chair… Lyrisme de boue rouge… Merci Danièle !!
merci Françoise.