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Des gouttes de pluie ont cogné sur le toit, si fort qu’elles brisent le sommeil. Trouble. La veille d’un voyage, se réveiller au milieu de la nuit et ne plus savoir dans quelle chambre on se trouve. Dans la tête, les gouttes continuent à cogner. Déjà ailleurs.
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Si on se faufile en-dessous des rangées de fraises, alors c’est un tableau renversé, les grappes de fruits mûrs qui pendent, leurs fleurs blanches attachées à la promesse sucrée d’une petite boule jaune, une forêt de verdure, abondance, la chaleur humide des serres aperçues d’ordinaire de loin, depuis la maison. À cet instant, je suis en leur cœur.
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Sensation retrouvée, après seulement dix jours d’interruption, du corps qui file dans l’eau, la transperce, s’en épanouit. Le geste familier, jamais perdu, des bras qui s’élancent d’un arc de cercle, vers un ciel aplani et vont se perdre, s’étirer, là, grandir la masse du corps, le pousser à ses extrémités.
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Paysage vu, puis regardé. Au bout de quelques heures de routes, stupéfaite par l’absolu du paysage – landes nues, montagnes hostiles que tente de braver le tracé des routes. Dans le creux des Highlands, savoir sa propre présence infime, infiniment.
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À l’horizon de la mer il n’y a pas d’eau. À l’horizon, au-delà des vaguelettes sautillantes, des flots transparents, c’est un pan de terre qui se découpe nettement. Une île, une île vaste, striée de crevasses, de fissures, de monts et de lochs. Dans le ciel, Skye.
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Déjà les images plus floues. Déjà elles semblent se confondre avec les photos prises ce jour-là, lors d’une excursion dans la baie de Gairloch, en sachant qu’elles ne pourront pas rendre l’expérience vécue, le relief des couleurs. Déjà nous ne sommes plus acteurs ni spectateurs, mais figurants.
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Des galets récupérés sur la plage et arrangés dans le sable, pour former un dessin fragile, voué à être effacé par les vagues. Les jours s’emboîtent, se déplacent, un galet après l’autre, et l’image qu’ils composent ne cesse de se transformer.