Dimanche
Deux adolescents, un garçon et une fille, discutent dans un renfoncement de la véranda. Ils tentent de s’éloigner le plus possible de sa mère et sa grand-mère à elle. Ils parlent à toute vitesse, s’entrecoupent, se précipitent pour en dire le plus possible dans le peu de temps qui leur est imparti. Ils se sont rencontrés hier et se séparent dans deux heures tout au plus. Dans la cuisine à côté, j’entends la grand-mère après un silence : « En fait, en fait… les gens disent tout le temps en fait…. » « Oui, en fait c’est comme du coup », répond sa fille. « En fait, ça ne veut rien dire… ». Je pense à Sarraute, bien-sûr.
Samedi
Balade dans les bois, une forme blanche se détache sur le parterre de verdure. Un crâne de chevreuil gît, ses bois solidement enchevêtrés dans une corde attachée au tronc d’un arbre. Je suis surprise de constater à quel point il est propre. J’imagine qu’il est mort d’épuisement. Je m’interroge : depuis combien de temps ? A-t-il été attaqué par d’autres animaux ? Etait-ce un jeune ? La mort semble me suivre.
Vendredi
Aire de jeux en bord de lac. Deux grands-mères s’occupent de leurs petits-enfants. Elles tiennent un petit garçon par les mains pour l’aider à monter dans la structure : « Doucement, doucement… mets ton pied là, tiens-toi là… non non tu ne peux pas le faire tout seul, tu n’y arriveras pas, tu es trop petit… ». L’enfant semble forcer sa fragilité, gestes mal assurés, entravés par les bras protecteurs. Après quelques minutes, le téléphone sonne, l’attention se relâche. L’enfant grimpe le plus vite qu’il peut vers la partie la plus haute du jeu : « Je me débrouille tout seul ! » dit-il à part lui. L’autre enfant est une fille. Elle a enfourché une draisienne et s’élance avec fougue. Le « fais doucement » à sa poursuite. « JE NE PEUX PAS FAIRE DOUCEMENT » crie-t-elle d’une voix volontairement rocailleuse.
Jeudi
En voiture. Du coin de l’œil, le long de la route, j’aperçois derrière l’angle d’une maison, une robe étendue sur un fil. Elle est bleu majorelle, en trapèze avec des manches courtes et le col chemise. Un courant d’air la fait danser. L’image est cinématographique.
Mercredi
Qu’ai-je donc fait mercredi ? Je regarde à l’intérieur de ma tête, fouille les recoins. Mercredi je n’avais rien de prévu, j’ai passé du temps sur les vidéos, les textes, la visio du Tiers Livre. Soudain, un moment prend le relief : Dans un petit carré de mon écran, un nourrisson apparaît furtivement de dos, dans cette position de tatou enroulé que prennent les nourrissons quand on les soulève. Je ne vois rien, mais je devine aux gestes de la mère qu’il est mis au sein. J’ai l’impression d’avoir volé quelque chose.
Mardi
Un groupe d’enfants sur des tentures étalées sur la pelouse. Des livres, des feuilles, des crayons et stylos éparpillés. Les filles sont assises en tailleur ou genoux relevés sur la poitrine, les garçons se sont allongés à plat ventre, tête vers l’extérieur du cercle.
Lundi
« Vous voulez voir un bébé oiseau ? ». Nous faisons demi-tour dans la ruelle, curieux. Un oisillon, pas plus grand que la paume de la main d’un enfant, sans une plume, gît sur le bitume, ses paupières translucides fermées sur les gros yeux, les bouts d’ailes comme des moignons, en croix. La mort encore. Je lui en veux un moment.
Vos textes sont très touchants, on y rencontre beaucoup d’enfants, la vie mais aussi son contraire.
Merci beaucoup Isabelle pour cette lecture sensible.