Des jeunes femmes d’une souplesse et d’une adresse inimaginables font des cabrioles, volent au dessus et autour de barres horizontales. Après des voltiges qui touchent les nuages, elles retombent sur une poutre siglée Tokyo 2020. Comment peut-on revenir de si haut, de si beau ? combien de travail pour en arriver là ? Et la fille à la médaille, elle est championne de tout, d’Europe, du monde et maintenant ça. Elle est seule parfois ? Elle doit être très entourée, sollicitée. Qu’est-ce qu’elle se raconte quand elle est seule ? Elle est la plus forte de tout le monde, de la terre. Elle se le dit ? Comment tu supportes ça quand t’es seule ? Tu hurles, tu sautes en l’air, tu fais quoi? tu peux le supporter d’être seule, que le monde ne soit pas à tes pieds ?
Seul, je regarde des gens dont j’imagine qu’ils ne s’imaginent pas seuls.
Jour -1. J’ai rempoté le papyrus. Qu’est-ce que ça boit ! Enfin, pas exactement rempoté, plutôt embassiné. Il buvait l’eau de son petit pot à une vitesse telle que je devais le rebiberonner trois fois par jour. Alors, hop, il est dans un grand bassin et boit jusqu’à plus soif. Ça a demandé réflexion, calcul, repérages multiples.
Le soir, j’ai écouté la vidéo-consigne Kafka. Ça parle d’épiphanie et je ne suis pas sûr d’avoir compris.
Jour -2. La pluie a commencé à midi et ne s’est plus arrêtée. A quoi ça sert de regarder la météo et de ne pas la croire ? Le bruit de la pluie sur les feuilles, marcher dans les flaques, souvenirs d’enfance. Lire une carte, regarder une boussole, pique-niquer, perdre le chemin, recevoir de l’eau dans le cou, 20 km sous la pluie, c’est long et ça finit par manquer de romantisme.
Jour -3. H. emménage à Paris. Dimanche après-midi d’été bizarre, dans les entrepôts d’Ivry sur Seine, au pied des grandes cheminées des incinérateurs et de ce drôle d’immeuble dont on dirait que le sommet va tomber.
Au retour, la traversée de Paris m’est toujours source d’émerveillement. Autruche du jardin des plantes, IMA, Notre Dame, Pont Neuf, Louvre, Académie française, Orsay, Concorde, Invalides, ambassade d’Afrique du Sud, église américaine, cathédrale orthodoxe, Branly, Tour Eiffel. La Seine.
Jour -4. N. et E. habitent une jolie maison et leur jardin est accueillant. Le mildiou a attaqué les tomates, ça évitera de devoir chercher à qui les donner, le gel a détruit les cerises, c’est plus triste. Le papyrus du bassin avait gelé, lui aussi, mais il est reparti. Nous avons ri, mangé des gâteaux, leur fils va à l’université avec une idée : quitter le 77. Le soir, de l’autre côté du fleuve, chez Rosa Bonheur, Ludmilla se portraiturait en Nina Simone. Peu Nina Simone, plus Ludmilla, femme noire en France en 2021. Engagé, puissant, perso.
Jour -5. Visite de l’expo de Michael Schmidt au Jeu de Paume. S’il y avait un doute, là c’est sûr : la photographie montre ce qu’on ne voit pas, ce qu’on n’a pas vu venir, ce que la bonne conscience nous a caché. Ce désir de liberté, d’individualité, d’affirmation de l’image de soi des années 80 nous parle de nous, à distance. Qu’est-ce qu’on n’a pas regardé ? Aurions-nous mieux compris si nous avions décalé le regard ? Qu’est ce qui se joue dans ce qu’on ne voit pas, dans le discret détail grossi ?
Jour -6. J’ai un faible pour Limoges. Lieu de mon premier amour, certes, mais ça fait très très longtemps. L’ami JH y est malade, je suis allé le voir. Il avait préparé un tendron de veau aux cèpes et ce fut une délicieuse journée d’amitié. Les souvenirs sont supportables quand ils sont confrontés brutalement, sans complaisance, au présent. Quand ce ne sont plus des souvenirs.
Jour -7. Un corbeau vole en croassant au-dessus d’un chat roux qui court doucement sur la pelouse. Hier, ils étaient déjà là et je m’étais dit que le corbeau voulait chasser le chat loin de son nid. Mais ils sont encore en face de la fenêtre. L’oiseau hurle en s’approchant du chat imperturbable qui bâille, se met sur le dos, se roule, semble bien avec ces cris. Copains, complices, larrons en foire, duettistes ? C’est plutôt une corneille.
Il y a le quotidien, tendre, et puis ça et là, comme des coins enchâssés dedans et qui élargissent et piquent : le détail que l’on rate (« qu’est-ce qu’on n’a pas regardé ») et ces souvenirs qui ne deviennent supportables que n’étant plus des souvenirs. Et ces petits éclairs-là, intriguent. Alors se dire que ce papyrus qui boit à l’infini, balloté de pot en pot toujours plus grand, serait comme ce qui engloberait le texte et la vie-même.
Ces petits éclairs, ils viennent au fil des mots, et il me semble qu’ils ne brilleraient pas si il n’y avait pas la proposition d’écriture.
Les tribulations du papyrus comme métaphore de la vie, je vais y penser.
Merci Marion.
Toi aussi Bernard tu gardes un souci pour les plantes. Chez moi aussi le mildiou a vaincu les tomates. J’aime bien, c’est très ancré dans la vie de tous les jours.