La réunion a commencé… Il y a plusieurs réunions hebdomadaires, mais celle d’aujourd’hui est la seule consacrée au bilan d’activité. Chaque service dépêche à la direction un seul et unique représentant exposer les résultats de son secteur. Chacun n’a droit qu’à un seul passage. Il faut être bon. Je suis le suivant et on m’a demandé de remplacer au pied levé mon responsable, tombé brusquement malade. Son adjointe, mère isolée, veille sur sa progéniture, comme chaque mercredi. Pas eu le temps de préparer quoi que ce soit. Pas une seule note laissée à mon intention. Juste un seul et maigre dossier avec des statistiques peu florissantes. Je vais devoir improviser d’autant que les chiffres ne sont pas vraiment mon fort. Je dois bien être le seul de mon service ! A mon tour de parler. Je me lève. On me fixe. Je me râcle la gorge. Grand moment de solitude!
Jour 1 : Le caneton remonte le cours d’eau à contre-courant. Il palme les flots frénétiquement sous le regard indifférent de la mère cane et des ses frères et soeurs qui suivent nonchalamment la berge, en ondulant du croupion, sans un regard, sans un coin-coin pour le récalcitrant. Vilain petit canard nageant à contre-courant. Il en est des canards comme des hommes. Aller à contre-courant, n’est pas des plus faciles, et cela peut être risqué, on peut y laisser des plumes. Mais le canard n’en a cure, car il ne se noiera jamais, que le courant soit contraire ou pas. Il sera tout au plus éclaboussé par des gouttes qui lui glisseront sur le plumage, sans jamais le mouiller.
Jour 2 : Un orchestre de rue jouant un air populaire ancien : les yeux d’Emilie. Gens et accents se mêlant dans cette rue d’une métropole de la Belle Province…sous les yeux d’Emilie. Quelques uns dansent au rythme de cymbales accompagnant l’orchestre. Une fillette sur un balcon fait la Ola debout sur une chaise. En contrebas dans la rue, une femme blonde portant des lunettes noires reprend le refrain d’Emilie. Tu es sorti de nulle part, toi l’autochtone, l’indien des Plaines ou des bois, qui d’une démarche mal assurée, enfumé de weed et embrumé d’alcool, te mets à diriger l’orchestre, à contre-temps, sous les yeux d’Emilie. Qui es-tu? A quoi penses-tu, toi le paria dans ton propre pays, invisible aux uns et méprisés des autres? Un sourire béat illuminant ton visage buriné et prématurément vieilli, tu te mets à piétiner, d’abord gauchement puis de plus en plus assuré, rêvant à une danse traditionnelle de pow wow, sous les yeux d’Emilie.
Jour 3 : quarante-sept; quarante-huit carreaux de faience grège depuis le plongeoir, je nage dans la masse aqueuse chlorée et irradiée de soleil, soufflant, crawlant, battant des pieds jusqu’à l’extrémité de la piscine. Pieds contre le rebord, je culbute pour un retour en brasse coulée, dans un sillon bouillonnant, porté par les sons étouffés et déformés des plongeons et des barbotages des nageurs. La température de l’eau est agréable. Quel délice! Bras et jambes tendus, je file dans une bulle d’air en suivant la chaîne de flotteurs, tendu comme un fil d’Ariane. Un bruit de sirène interrompt ma nage. Je sors la tête de l’eau. Derrière les verres de lunettes embuées, je discerne des taches rouges gesticulant sur les bords de la piscine. Ce n’est pas un champ de coquelicots se balançant au vent, mais des maîtres-nageurs vêtus de rouge qui nous demandent de sortir de l’eau. Un orage approche et il n’est pas conseillé de rester dans l’eau, surtout dans une piscine extérieure. Je sors à regret mais soulagé. J’aurai nagé un quart d’heure.
Jour 4 : Caddie rempli d’articles de décoration, parqué dans le couloir des lavabos, j’attends, ticket à la main, que l’employée Ikea, métissée, chignonnée, masquée,me conduise à la table qu’elle m’a attribué. Boisson, café et assiette d’eglefin sur un plateau, j’emboîte le pas à ma guide vers la table Tommaryd anthracite promise, qui surplombe un ascenseur. Familles, badauds, acheteurs y sortent et entrent, avec ou sans sac jaune à sangles bleue à la main. La visite du temple du kit à emporter, débute généralement à l’étage, en suivant un fléchage balisé et des chicanes obligées, avec au choix, un circuit long ou court. Mon hôtesse me rappelle que j’ai droit à une demie-heure de consommation assise. Ça devrait suffire pour engloutir un eglefin frites formatés UE.
Jour 5 : Notre chat explore le cabinet du vétérinaire en apparence indifférent à notre inquiétude. Le félin renifle un stéthoscope puis inspecte l’écran de l’ordinateur sur lequel est affiché son dossier vétérinaire. La décontraction et la vivacité du chat sont plutôt de bon augure. Pourquoi s’en faire alors? Pourtant avant-hier il n’allait pas fort, nous obligeant toutes affaires cessantes, à consulter un vétérinaire. Aujourd’hui on revient pour le bilan de santé du félidé domesticus. Retour du véto dans le cabinet. Souriant, rassurant, bilan de santé triomphant à la main, il nous annonce, pince-sans-rire, que notre European Shorthair, a attrapé un Coronavirus léger. Rien de grave. Juste une pathologie bénigne et fréquente chez l’espèce féline. Faudra t-il le vacciner ou le mettre en quarantaine? Non pas la peine. Une cure de probiotiques devrait suffire à régler ses problèmes intestinaux.
Jour 6 : Jour de la Fête Nationale. J’ouvre mon agenda à la date du 14 juillet. Je n’ai rien prévu aujourd’hui. Mon esprit divague. Je pense étrangement à Louis Capet, qui a écrit RIEN dans son journal du 14 juillet. Je ne suis pas roi et je ne suis pas marié à Marie-Antoinette. Donc a priori, rien à craindre. Mais on ne sait jamais. J’allume la télé sur une chaîne d’info en continu. Ça ira. Les Champs-Elysées sont revêtus de vert kaki et on n’annonce aucune venue de sans-culottes.
Jour 7 : Jour de pluie et ses rideaux d’eau, balayés par un vent tumultueux qui s’engouffre en mugissant par delà les parapets, les rues et ruelles, gonflant les toiles et échevelant les arbres, je me fraie un chemin au corps-à-corps avec les éléments. Visage aspergé, transi-trempé, j’entre enfin dans la station de métro. J’éternue. Un rhume estival me guette.