mercredi 28 Aujourd’hui, le ciel semble plus clair. L’air est piquant, presque automnal et le vent, notre vent du Nord si familier, balaie mes restes de sommeil. Il est 10h et, dans la cour, tout frissonne. Ma courte nuit doit accentuer mon ressenti. Je bois une gorgée de café brûlant. Minuscule jardin, minuscule cour, chez moi. Pas besoin de plus. Les fleurs ondulent, le framboisier, le rosier, quelques pétales échappées des jardinières des voisins s’inventent des chorégraphies avant d’être piégées tout à l’heure par les poils du balai. Mes mains se refroidissent et je m’obstine, comme si, en juillet, on se devait d’être dehors, comme si c’était se montrer faible que de renoncer à écrire dehors alors que le soleil est là, même voilé et contrarié dans sa volonté de chauffer, par des éléments contraires. L’ordinateur sur les genoux, installée dans une chilienne qui est encore à l’ombre, je cherche mes mots, je balbutie. Recenser mes sensations, les glaner et les garder en bouche jusqu’à sept jours en arrière.
mardi 27 Encore la pluie, la pluie encore et encore, la grisaille qui égratigne insensiblement l’envie. Sortir pour aller où ? Faire un tour dans quel but ? Il y a une semaine où étais-je ? Sur une île ? Au bord d’un océan de sable à marée basse, à perte de vue, à perte de regard. Le chien courait, s’y égarait. Peut-être dégustions-nous des huîtres … Je feuillette la galerie de mon téléphone, les photos défilent. De simplement jolies, certaines me semblent devenir insolentes. Tant d’espace, brut, sans apparat, une simple cabane de pêcheur ponctuant l’horizon. Une averse crépite plus fort et larmoie sur les vitres, je relève les yeux, le spectacle n’est pas sur le minuscule rectangle de plastique qui me vampirise mais dehors où le rideau de pluie étouffe la terre et bouillonne en l’avalant.
lundi 26 La vie reprend. Les courses, les appels, les mails auxquels il faut répondre. L’immeuble ne se raconte pas encore, je n’ai croisé personne. Que s’est-il passé alors qu’ailleurs je trainais mon indolence ? Quels litiges, quels murmures, quels cris, quelle main courante entre quels voisins ? Les récriminations se sont-elles tassées ? Les bruits réapparaissent tels que je les avais laissés, ils se réapproprient mon espace mental, sans m’étonner ni me heurter. La porte d’entrée claque, Pascale parle dans le hall, au-dessus de moi j’entends Michel tomber. Michel, ce prénom continue de m’étonner pour un enfant si jeune. Quel est le fil qui a mené ses parents à ce choix ? Tranquille mais mal insonorisé ce bâtiment, oui, bien sûr… ça me revient. La vie est partout et passe à travers les murs et sous les portes. L’immeuble et moi nous nous habitons réciproquement.
dimanche 25 Je me réveille chez moi en pleine étrangeté. Ce qui est, au-dessus de tout autre lieu, un sanctuaire, est nu de mon absence. Les murs semblent être dérangés par mon retour, ils ont fait sans moi pendant deux semaines, de quoi ont-ils parlé ? Qu’ont enregistré leurs oreilles ? La chatte est fébrile, fait des allers retours entre le lit, pour se faire câliner, et la cuisine pour avoir sa ration de croquettes. De quelle façon lui ai-je manqué ? A-t-elle donné à Laurent qui l’a nourrie, une once de la tendresse dont elle déborde ? Les draps sont tièdes de moi, je m’y enroule, je ne les avais pas changés et j’y retrouve mon odeur d’ici, une odeur instinctive. Réappropriation réciproque entre les murs et moi. On se connait pourtant par cœur.
samedi 24 Partir. S’éloigner de ce qui a été mon port d’attache. Tout ce j’ai estimé nécessaire d’emmener pour deux semaines tient dans une valise et quelques sacs. La valise rechigne un peu, les vêtements y sont mal pliés. La sacoche de l’ordinateur, précieuse, contient les mots qui ont éclos ici. Je m’en souviendrai. Comme tous ceux qui affleurent hors de chez moi, ils garderont la trace du voyage, du lieu exact, de la position, de la forme de l’air. Ils garderont le goût du café ou du vin qui aura contribué à leur existence. Je repars avec eux et avec ceux qui sont encore en gestation, avec des auteurs, sortis de leur réserve, qui papillonnent dans mon cerveau. Se créer maintenant une bulle dans la voiture, l’intimité qui y règne m’est familière, les repères n’ont pas assez de place pour s’y disperser.
vendredi 23 C’est l’idée du départ. Partir demain, ce n’est pas partir aujourd’hui et l’alarme ne sonne pas mais c’est déjà mentalement quitter des lieux auxquels on s’est acclimaté et qui sont devenus temporairement chez moi. Rien de ce qui le façonne ne me ressemble, ce havre qu’on m’a loué, aucun objet, aucun cadre, même si l’ensemble est de bon goût, les maquettes de voiliers, les boussoles et les reproductions de scènes de navigation me sont étrangères. Le studio est pourtant mon territoire privé, l’endroit où je me pose, me ressource et écris. Je rassemble mes affaires, vide les tiroirs de tout ce que je leur avais confié et que d’autres après moi rempliront de ce qu’ils sont, eux. Faire le vide, méthodiquement, ne rien oublier, ne rien laisser de soi. Ici.
jeudi 22 A travers la persienne perce la même luminosité indéchiffrable qu’hier. Ce n’est qu’en écartant quelques lames que le temps qu’il fait se dévoilera. Attendre un peu et laisser mon regard errer sur la peinture couleur sable qui recouvre les lambris, paresser dans le parfum du café qui passe, vagabonder entre les bibelots, le baromètre et la lampe tempête qui bordent mon côté de lit. Profiter des minutes immatérielles où la vie sommeille encore. Je laisse la vie couler comme ça, couler comme elle vient, bercée par le rythme régulier du ventilateur.
Tout ce qui se passe dans peu de choses. Importance de tous ces détails profonds. La solitude de qui écrit entouré de ces ombres.
Une belle description pour un changement de lieu.
Bonjour Emmanuel, merci pour votre passage ici. Oui, les changements de lieux engendrent bien des changements intérieurs aussi…
J’ai beaucoup aimé remonté le fil de votre semaine, et il y a eu arrivé au jeudi, comme un petit choc de voir que c’était déjà fini. Merci
Bonjour Line, merci pour ce commentaire très sympa. J’ai bien aimé cet excercice de mémoire. Je vais aller voir votre semaine à vous …