#P6 | 7 jours d’été et pas mal de transports

Dimanche

Ma grand-mère retrace heure par heure le voyage d’Alger à Bagneux en janvier 1966. Aucune péripétie oubliée. Je me dis : si un jour j’entreprends « quelque chose autour » de l’histoire familiale ce voyage formera la colonne vertébrale du récit. Dans le 379 qui repart de Châtenay-Malabry je trouve sur le web une image du cargo qui les a transportés d’Alger à Sète. Dans notre histoire sans traces c’est une chose.

Samedi

On prend la voiture pour rendre visite à un ami malade, loin en banlieue sud. Avec lui on fait le tour du parc, on s’installe sous les tilleuls. Il rallume une clope à peine la précédente terminée. Aujourd’hui il ne se sent pas bien, s’excuse, on le prend dans nos bras – je ne sais pas si ça sert. Au retour sur la N7 il pleut des cordes. Ces deux visites en moins d’une semaine m’ont épuisé.

Vendredi

« Il pleut. C’est tout ce qu’il sait faire. »

Jeudi

Dans le film « One More Time With A Feeling » Nick Cave évoque la mort de son fils de 15 ans. Il dit quelque chose comme : « Les gens me suggèrent : « Tu devrais résumer tout ça en une seule phrase comme « He lives within your heart ». I’d love to. Except that, even if he is in my heart all the time, he DOESN’T live anymore. »

Mercredi

Prendre le temps de pousser les recherches généalogiques. S’enfoncer dans l’état-civil des Français d’Algérie conservé sur des microfilms numérisés est une expérience curieusement physique, matérielle : tourner les pages virtuelles et tomber sur tel et tel morceau carbonisé, arraché, calciné. Les microfilms datent de 1971-1972, leur numérisation du début des années 2000. A quoi ressemblent aujourd’hui les originaux que gardent les Algériens ?

Mardi

Javier Cercas. De temps à autre on tombe sur un auteur juste en traînant longtemps dans les rayons de la librairie. Lire « Le Monarque des Ombres » et se dire : voilà la manière juste de rassembler histoire personnelle, familiale, et histoire récente d’un pays – l’Espagne – en mêlant documents d’archives, souvenirs et comptes-rendus de lectures. Tout cela en parlant de son quotidien, de la fatigue, des doutes. D’autres l’ont fait mais Javier Cercas y parvient, je ne sais pas, avec grâce. Voilà : avec grâce.

Lundi

J’ai beau ne venir au Moderne qu’une fois par mois, les serveurs m’accueillent en habitué. Au fond peut-être savent-ils que pour venir c’est une heure de transport avec deux changements. Et peut-être me remercient-ils de l’effort en m’offrant un deuxième café après le couscous.

Dimanche

Avec D. on appelle ça « le sentimanche ». C’est « le cœur comme un papier qu’on froisse » quand tombe la nuit, l’ankylose, le sentiment d’être fragile plus que n’importe quel autre jour, la crainte infondée de la semaine à venir. Dire que même en été, même sans boulot le lundi, la sensation est là, juste assourdie.

A propos de Xavier Georgin

Xavier GEORGIN est auteur, animateur d'ateliers d'écriture et membre du collectif La Ville au Loin (https://la-ville-au-loin.fr/). Il écrit des textes où se rencontrent histoires familiales et traces dans l’espace urbain puis les met en son et en images sur son site internet www.xaviergeorgin.fr

5 commentaires à propos de “#P6 | 7 jours d’été et pas mal de transports”

  1. Très touchée par l’ensemble. J’espère que ce qui est relaté à « vendredi » n’est pas vrai ?

  2. Cette colonne vertébrale dont tu parles, elle sert ici à mes yeux à un récit sur la (les) mort(s). Je pense au livre de Vinciane Despret lu dans le jardin du confinement. (https://fr.calameo.com/read/000215022cb09a96f31d0)
    Pour moi également ( si je te comprends bien) il est indispensable qu’un autre récit jouxte la narration généalogique. (À moins d’une forme très puissante comme celle des 23 poses manquantes).

  3. Oui, la présence du contexte d’écriture, de ce qui est a priori hors-champ, différent du récit « colonne vertébrale » est nécessaire. L’écueil : se regarder dans le miroir raconter sa petite histoire. Trouver l’équilibre entre tout ça.
    (Oh mais il a l’air drôlement intéressant, ce livre de V. Despret !)