Au pied d’un grand arbre, vision de JE* partout, dans tout être et non-être.
Aperception, conscience pénétrant derrière la scène du monde, au delà du panorama, des objets vus. Certitude, vécu intime, aucune autre vérité n’a lieu : JE n’est pas pensée d’esprit dans un corps mortel. JE est à l’intérieur de chaque cellule de matière, JE est vivant dans toutes les formes, la cigale, l’écorce, la pluie, le drap, la bétonnière, le cintre, l’étoile filante. JE est dans toute chose et aussi dans l’au-delà des choses, dans l’espace qui accueille les centrales nucléaires, les montagnes, les nuages, les comètes, les univers. JE est hors temps hors espace. JE est la vie même. JE est intérieur, extérieur, lumière, ombre, vide, plein, bien, mal, dieu, diable, JE n’est séparé de rien. JE n’est pas un concept, JE n’est pas une religion, JE n’est pas une personne, JE n’est pas une femme, JE ne peut mourir, JE ne peut se sentir mal, JE ne manque de rien, y compris lorsque le corps manque, d’ailleurs à cet instant le corps par lequel JE se perçoit est transparent, aussi léger qu’une aube au printemps. Toutes les contractions, tensions, lourdeurs, picotements, arrachements, crispations, torsions, déséquilibres chimiques, tout absolument a disparu dans cet espace du JE. JE est très familier, le moi est interloqué lorsqu’il revient à lui. Dans cet espace, le moi n’est pas présent. L’histoire du moi n’est pas présente. JE ne se soucie pas du moi. Dissolution de l’organisme et de la pensée. Pourtant, JE voit parfaitement toute chose. JE est Amour avec un immense A pyramide enveloppante, une puissance d’amour qui anime chaque atome naissant. JE est une force d’attraction jamais expérimentée par le moi pour d’autres humains, animaux, plantes ou objets fétiches. Ici, dans la présence de JE, aimer s’accomplit dans son originel surgissement, sans attachement ni attente. La peur n’existe pas. JE est vu sans les yeux du corps, il est reconnu en pleine lumière du jour, sans psychotrope, sans hypnose, sans savoir comment, sans comprendre, sans aucun doute possible.
*JE est ce qui écrit et lit ces mots.
Bonjour Isabelle, je me trompe si je dis que cette perte de contrôle-là est mystique (donc joyeuse) ?
Oui, c’est ce qu’on appelle une expérience mystique, d’unité, d’éveil… les mots n’y vont jamais. Bien entendu, c’est très joyeux, loin de la crise de panique ou d’épilepsie, d’ailleurs ce n’est pas une crise, mais tout le contraire 🙂
J’ai traîné la patte (le temps, ah le temps) pour cette #P5. J’avais dans l’idée un moment aussi d’éblouissement. Ton texte me donne des regrets… JE pense à un autre qui m’est très cher : La Lettre de Lord Chandos. https://www.universalis.fr/encyclopedie/hugo-von-hofmannsthal/2-reinventer-un-langage/
Quelle belle incantation, qui active toutes les ressources du souffle. Ce JE qui n’est pas « moi », l’indissoluble présence, ici ranimée par vertiges, séance de… spiritisme ?