Un déchirement. Le cri retenu. Puis l’écoulement soudain s’écroulant sous les tripes quand s’est écartée, vive écorchée, ce qui s’accrochait à l’existence comme la véritable et non seconde de ses peaux. Lorsque les possibilités, les attentes, et toutes les potentialités s’éteignent car plus rien n’existe désormais que l’absolue certitude de ne plus surmonter l’ombre de soi-même …
Ce qui hier encore … Ici les temporalités comme les conjugaisons se mélangent et participent de la frayeur. Ce qui demain déjà croissait, dans les soubassements dont les fibres cimentaient l’allant des projets fébrilement constitués dans l’urgence des jours passés, la note et la musique de l’ivresse de vivre, l’abandon, la perte de la rengaine, l’aspiration dans le plus obscur des pièges obscurs, les noieront au plus profond des abysses, où les ténèbres les dévoreront en partage avec l’oubli.
Cela ne commence pas tout de suite par les boyaux. Les yeux se souviennent les premiers de la couleur évanescente du bonheur. Mais l’outre d’Éole dissipe ses effluves plus vite que ton nez n’escompte en retenir le souvenir, Ulysse. Tu ne retrouveras pas Ithaque.
Là où la mer s’enfuit, ton âme la suit. Il a cru à la vie. Que le silence. Non, le bourdonnement de l’absence …
Sous l’estomac le creuset creux (infiniment) accueille le plomb fondu des tripes en souffrance. Leurs anneaux constrictors sont mille serpents qui scellent le nœud du désespoir. Et cela palpite dans les tempes. L’ultime secousse d’une obsession cardiaque à refuser l’incompréhensible peine à la course. Le déphasage de qui se retient aux secondes antérieurs et la torture lancinante d’un mal de mer intérieur. Barque qui tangue que l’eau inonde, immonde. Elle chavirera, tu le sais. Crampes, nausée, évanouissements, hurlements, rien n’y fait …
L’esprit aussi se démène pour échapper à l’irrémédiable dont le sourd tournoiement s’abat sur la raison que cette chape enserre.
La folie ou la mort ? Non, le pire est lucide. La mort est un secours qui ne le connait pas. Mais la peur force à la lucidité qu’un acharnement surhumain devait libérer. Les fous sont les plus forts, lui il sera faible. Vaincu, il glisse et succombe aux eaux fétide du marasme. Il a confié aux décombres les prémisses de ce qu’il aurait dû être … à jamais.
Codicille : Dur Artaud, qui connaissait sans doute davantage son sujet. Moi j’écris ici la plongée physique aux portes d’une dépression fictive, que la solidité d’un esprit croit contraindre. Inversion du problème habituel, la folie est perçue comme le « remède » des esprits forts. La musique comme l’image sont issus des enfers de Jérome Bosche. Il m’a semblé que l’introduction et le final de la version de spakling proposée ici accompagnaient mieux que ma prose les ambiances de l’expression du malaise totalisant que je cherchais à dépeindre (qui me fait penser, sur un autre registre à celle de Sartre, sans préméditation de ma part). L’étonnante légèreté mélodique qu’elle encadre par ailleurs, beauté de contradiction avec l’enfer est un mystère fascinant qui mérite bien d’autres « déplis ». J’en ai modestement intégré à mon texte la forme d’une dimension nostalgique, avare pourtant de son expression. (https://www.diapasonmag.fr/histoire/le-cul-d-enfer-signe-jerome-bosch-sonne-enfin-32738?fbclid=IwAR09ICNAYTmoiuWv0mtihg95L0Fi8o_d_EOeF_PWvxpql8r3dDLp1P4kTpg.)
Aucune apologie. Bien sûr. « La folie, la mort est un secours » : non, absolument pas. Phrases de styliste. L’exercice le plus dur des durs, serait d’expliquer pourquoi la vie reprend. Parce qu’elle reprend, (la plus importante des choses à dire, ici entre parenthèses drame de la communication) et que là réside vraiment l’inexplicable. Non pas dans le « marasme » ci-dessus décrit mais dans sa densité pleine et entière, lorsque reprennent les mélodies brisées. Comme si de rien n’était ? Plus fort ? Non, non. Je ne peux pas le savoir mais faut-il abandonner l’exploit à la littérature spécialisée, psychologique ou philosophique et leurs vulgarisations « personnelles » ? … À venir ? C’est peut-être parce qu’il est si difficile de ne pas « gnangnantiser » que toute littérature hésite autant sur le versant positif de l’existence. Pourtant l’amour, comme la mort, abonde dans toutes les chansons alors qu’il me semble bien moins fort que la simple jouissance d’exister, dont il est impossible de dissiper les variations.
Jusqu’où fouiller pour retrouver ces expériences rares (mais l’on me rassurera peut-être) ? Dante, Gide, Whitman ?
La Nausée de Sartre était le décalage irréfragable que l’on ne peut masquer parfaitement sans se duper à nous-même. Une volonté d’être inconditionnelle pour une conscience qui n’existe que par conditionnements fatalement inévitablement insuffisants. Si la folie d’Hamlet refuse de trancher entre l’être et le non-être, celle de Sartre est de croire au bonheur et son impossibilité (l’être fait de non-être), qu’il faut chercher tant que la vie dure, parce que le monde et le bonheur des autres en dépend, aussi fous soient-il. (Voir aussi certaines pages de l’Être et le Néant auto-explicatives plus claires que le roman). Sa « folie » était donc littérature et possibilité de vivre. Dans son récit, c’est une musique de Jazz qui incarne le retour de soi-même au monde par la création artistique. Some of this days, you’ll miss me honey … Délicieusement fragile et sautillant …
je m’arrête à cette phrase : « Pourtant l’amour, comme la mort, abonde dans toutes les chansons alors qu’il me semble bien moins fort que la simple jouissance d’exister, dont il est impossible de dissiper les variations. ». oui, oui. dans les chansons, il me semble que c’est le désir d’être aimé et la peur de mourir qui s’expriment. des représentations toutes faites qu’on duplique à l’infini pour provoquer une émotion qu’on connaît déjà. la jouissance d’exister implique qu’on accepte de ne pas savoir, pas comprendre etc… quelque chose d’insaisissable. j’aime le mot « variation ».