« Ce quartier, une vraie zone, c’est horrible, je me suis encore fait tiré mon téléphone.
Tu m’étonnes ! »
Ne pas être surpris.
« Elle ne va vraiment pas bien, elle a encore fugué, tu te rends compte ? Elle est folle.
Tu m’étonnes… »
Renoncer à rendre justice, à essayer de penser le comment, et le pourquoi elle en est arrivé là.
« Si j’étais elle, j’irais me faire soigner.
Tu m’étonnes, elle est grave. »
Être de mèche pour continuer à parler avec l’autre, l’autre, le besoin de l’autre.
« Il m’a encore laissé tout gérer, tu te rends compte ?
Tu m’étonnes… »
Récupérer le colis d’un autre, pas le courage de lui dire de s’adresser ailleurs.
« Elle ne me réponds plus, c’est un vrai vampire, toujours à sens unique…
Tu m’étonnes … »
Etre cette personne là à son tour et étonner l’autre de sa rengaine mille fois exprimée, trouver la bonne oreille qui accueillera les maux, livrer l’émotion brute, en vrac, s’en débarrasser, en urgence, « on me doit bien ça, avec tout ce que j’écoute ! »
« Elle m’a même pas appelé, tu te rends compte ?
… »
Etre déçu quand l’autre ne prend pas la peine de vous servir le « tu m’étonnes » de circonstance ; puis réfléchir un peu, « pas étonnant… ».
« Non mais vraiment, j’en ai marre, je lui ai rien dit, mais bon …
Tu m’étonneras toujours ! »
S’étonner par tous les temps, et au futur ! Le repli, le point final, une manière de débarrasser, de se lever au milieu du repas, au milieu d’une phrase qu’on ne veut pas entendre, qui agace. « Tu m’étonneras toujours », jusqu’à la prochaine fois, celle où l’on aura de nouveau envie de rentrer dans la danse, d’endosser à nouveau le costume, de mère, de fille, de putain, de grande sœur. Etre étonnée quand tout semble convenu, faire l’étonnée plutôt qu’assumer, être l’étonnement plutôt que la surprise, celle de l’amour, de l’émotion qui prend au corps, un coucou-caché pour se trouver et se retrouver, « tu m’as surpris », « tu me surprends ». Servir des « tu m’étonnes » jusqu’à ce possible moment de grâce, cette surprise de l’amour tapie dans chacun de ces « tu m’étonnes » qui prolongent la discussion, tendresse et ronflements des relations de longue distance. Ces « tu m’étonnes » qui tiennent la longueur, qui font reculer le moment de se quitter, et portent parfois en eux la possibilité de se surprendre au long cours.
On voit comment une expression peut nous emmener dans des endroits variés entre la sincérité et le faux semblant.
Belle matière.
Merci pour votre lecture ! Je n’étais pas sûre d’avoir été claire !
les dialogues de sourds, l’expression qui ponctue pour la forme sans jamais être sûre que l’autre a écouté, éventuellement compris ce qu’on a tellement besoin de dire… so true !
Oui c’est ça ! Merci !
C’est drôle, on entend presque le contraire dans cette expression comme si au final on n’était pas étonné du tout. Incontournable ! Merci de l’avoir attrapée !