Alors que tu poursuis les détours d’une route qui n’en finit pas, la parole est suspendue, frappe l’arrêt brutal : tu comprendras plus tard. Répétition plus calme. Tu comprendras, plus tard. La parole est alors interdite. Aucune répartie possible. Dire pour empêcher l’autre. Sonne comme une insulte, comme une claque. Plus tard, c’est quand ? Ne fait pas l’imbécile, tu as très bien compris. Le regard fuit. La parole raccourcie. Il te faut grandir. Alors la réponse se dessinera aussi clairement que la question qui est posée. Dans un autre endroit, un autre moment, une interrogation. Voilà que ça revient, cette fois-ci comme une vague. Tu comprendras plus tard, sens ton corps rejeté là où l’ignorance règne. Repoussoir répétitif. Formule qui sert à tout, que l’on sert à tout va. Plus tard, tu comprendras qu’il ne faut pas insister. Insister, questionner, voilà ce que l’on ne fait pas. Ne pas poser de questions. Les questions gênent. Au fond on ne répond pas car il n’y a pas de réponses. Pas de possibilités. Renvoyer à une obscure réponse à venir est plus simple. Tu comprendras plus tard que l’on apprend à parler sans parler vrai, c’est d’autant plus juste une fois adulte. Juste pas justifié. Ne pas déranger l’autre. Tu comprendras. Plus tard, tu comprendras la pudeur comme un masque. Après l’observation d’une vie, tu comprendras. En attendant, on te dit gentiment de retourner à ta soi-disant ignorance. Rendez-vous plus tard. Plus tard, jamais. Plus tard, quand on voudra. Plus tard, on décide, pas toi. Plus tard, on compte sur toi pour oublier. Oublier toutes les questions. Oublier comment tu pensais. Oublier tes sujets d’interrogations. Faire coexister l’enfance et les réponses ? C’est trop. Tu comprendras plus tard. La lucidité te frappera peut-être sur-le-champ, ou bien après, si l’enfance te tourmente encore devenue adulte. Tu comprendras plus tard est une vengeance. Certains ont l’enfance. Les autres ne possèdent plus que des mots d’ignorance qu’ils font passer pour un savoir précieux, gardé secret. Enfance contre réponses bancales. Les deux ne s’échangent pas. Tu comprendras plus tard que c’est tout ce qu’on avait. Tu comprendras plus tard que tu éviteras la formule-raccourci. Tu comprendras plus tard qu’accepter la puissance des mots, leur complexité, leur beauté, c’est accepter que tout le monde puisse jouer avec. Tu as déjà compris ; les silences à tes questions écrivent en ton être des histoires en formes de rêves.
Maitrise de l’écho des réponses : « Alors que tu poursuis les détours d’une route qui n’en finit pas, la parole est suspendue, frappe l’arrêt brutal [.] tu comprendras plus tard que l’on apprend à parler sans parler vrai, c’est d’autant plus juste une fois adulte [.] Tu comprendras plus tard qu’accepter la puissance des mots, leur complexité, leur beauté, c’est accepter que tout le monde puisse jouer avec. Tu as déjà compris ; les silences à tes questions écrivent en ton être des histoires en formes de rêves. » Très bel appel à l’écriture invaincue par le doute.
Merci pour votre lecture attentive Clément !
Très juste ce besoin du parler vrai de l’enfant, j’aime bien cette idée de défendre « tout ce qu’on avait » de l’enfance. Merci d’avoir abordé cette expression et de faire tous ces liens.
L’enfance est un sujet – un monde – précieux pour moi. Merci Marie !
Très beau texte. L’enfance qui veut savoir et ne reçoit pour seule réponse des « mots d’ignorance » et des silence.
Souvenirs et témoignages m’ont soufflés ce texte. Heureuse qu’il vous ait plu Vincent !
Ce qui ne se dit pas se mue en charge émotionnelle si bien que le texte est lourd de sens. La colère le teinte, et pour cause…
Entre mon « tu tiendras pas » et votre « tu comprendras plus tard », un dialogue engagé sur les promesses au futur et les condamnations au présent…
Merci !
Il est des paroles qui sont des condamnations, l’écriture permet (parfois) de faire procès et puis passer à autre chose, avec ces promesses que l’on se fait à soi-même.
C’est vrai, heureuse des échos ! Merci Anna.