Retrouver la scène, retrouver le public, on n’en pouvait plus. C’est notre plaisir la rencontre avec le public, jouer… Arrête Simon ! Le plaisir de tout donner au public qui attend tellement de nous. C’est toute notre vie à nous autres, artistes, nous ne pouvons pas vivre sans ressentir l’émotion intense… Simon, maman te voit ! L’émotion intense de la scène, de l’incarnation du personnage… Nous sommes des créatures d’émotions, jouer c’est d’abord ressentir, ressentir intensément, vibrer… Alors tous ces mois à la maison… Qui supporterait une existence sans plaisir ? Personne ! C’est pour ça qu’on fait ce métier. Pour vivre d’autres vies. Aujourd’hui je suis Carmen, demain Desdémone, oui, je rentre dans la peau de mes personnages… Simon, maman est occupée, tu vois bien que maman donne une interview au monsieur. Je suis désolée, j’ai un problème de nounou, elle est partie dans sa famille, elle me met dans une situation impossible, mais elle est formidable, formidable, avec mes horaires et puis c’est un métier très prenant, enfin là, son départ à deux semaines de la première… Simon, maman a dit non ! On ne touche pas ça ! Excuse-le. Où en étais-je ? Ah, l’incarnation… Simon !!! Ne mets pas ta main là ! Tu gênes maman en faisant ça… S’il m’arrive d’être déçue ? Jamais ! Bien sûr parfois… Mais on prend son plaisir où on peut, dans les petites choses, un mot gentil d’un partenaire, le coup d’œil enchanté des habilleuses devant un costume bien porté, ça fait plaisir, tout de même. Les applaudissements du public, si on joue, c’est pour lui, pour qu’il ait un peu de plaisir dans une vie si… Simon, arrête avec ton zizi ! Le monsieur te regarde ! Tout le monde te regarde ! Excusez-moi, je ne sais pas ce qui lui prend, d’habitude c’est un enfant très sage. Il doit être jaloux de ne pas être pris en photo avec sa maman… non, non, il n’est pas habillé pour ça : il s’est mis du chocolat partout. Quatre ans. Presque. Vous savez ce que c’est… Les répétitions avec Stuart ? Très exigeant. Très très exigeant. Un grand professionnel. Beaucoup de contraintes. Un décor en pente. Enfin une scénographie. Il ne croit pas au personnage… C’est un peu comme de chanter malade, tout le monde vous admire, mais on n’a pas son plaisir. Simon, sois gentil, ne donne pas ton gâteau à Tchekhov. Enfin, la critique est dithyrambique ! Donc, ça vaut la peine. J’espère que le public suivra. J’ai une admiration folle pour Stuart. Sinon je n’aurais jamais accepté… Simon, ne lui donne pas ton gâteau ! Tu sais que Tchekhov est malade quand il mange des gâteaux. C’est un Shiba, vous connaissez ? Leur estomac est très délicat… Mes projets ? Des masterclasses ! J’adore enseigner, transmettre… C’est un tel plaisir de voir un élève qui s’ouvre, qui s’épanouit, comme une fleur, s’offrir à l’attention du public, totalement, parce qu’on a su lui glisser à l’oreille la parole d’encouragement qu’il attendait. (Soupir satisfait) Et voilà, Tchekhov a vomi ! Tu es content ?
Codicille : J’ai cherché quelque chose qui m’insupporte vraiment, quelque chose qui me donne envie de tirer une balle dans le genou, de hurler à la face, bref un sommet d’exaspération dans la mal-langue. J’avais l’embarras du choix : métier-passion, ce qui compte c’est l’émotion, trop de chance… J’ai signé pour le plus obscène. Je voulais un contrepoint en action. Le petit Simon et son zizi ont immédiatement répondu présents. Quant à Tchekhov, il n’a pas été maltraité. C’est une fiction.
… de la mère ou de l’enfant, lequel est le plus cabotin des deux ? Le titre est bien choisi – un vrai plaisir, cette lecture légère, j’ai bien souri.
C’est très bien ces retours : parce que pour moi c’est très lourd tout ça. Voir que ça passe comme une pavlova…
Merci
Merci pour cet espiègle décalage. Je dirais même plus: « que du bonheur! ».
Et je rajoute la « mal-langue » à mon vocabulaire, pour ça aussi merci!
Est-ce qu’on peut dire que ça fait plaisir ce genre de satire ?
Ça me procure une joie sauvage qui rime avec carnage. Mais je suis trop près de mon sujet 🙂 Heureusement que ça se lit comme vous le faites. Merci
Du plaisir bien porté et joliment crotté (vive la joie sauvage)
Haha, moi aussi j’ai envie de l’étrangler cette comédienne qui adore tellement Stuart et prend son plaisir où elle peut ! J’attendais que Tchekhov dégueule sur ses Louboutin, donc très légère déception…
Merci, Emmanuelle, pour cette agacerie très réjouissante. 🙂
Merci beaucoup et très sincèrement. Votre texte et votre intervention sur le zoom de mercredi (vu hier) m’éclairent profondément ou en tout cas orientent différemment la question de savoir pourquoi j’écris. Parce que c’est vrai au fond, je pourrais faire autre chose que de baver comme un russe (pour en revenir à Tchekhov, le chien, si vous me permettez l’association d’idée) pour pondre un texte. Je pense également à Mnouchkine qui si je ne m’abuse, parlait d’inscrire sur le fronton du Théâtre du Soleil, la phrase suivante à destination des comédiens : « N’entre pas ici, si tu n’es pas prêt à souffrir. »
Bonjour Pierre-Emmanuel,
Je crois pour le dire plus simplement encore que je déplore tout ce qui est refusé une fois que le mot plaisir est lâché. Tout ce qui n’est pas le plaisir, et qui n’est pas QUE le déplaisir, la souffrance, mais aussi des formes de clarté, de liesse, d’ébahissement, par exemple. Ce que nous appelons plaisir, c’est le plaisir que nous (re)connaissons. Il y a ici, dans cet atelier, la possibilité de Terres inconnues. Acceptons de ne pas savoir encore les nommer, nous pourrons peut-être, du coup, les décrire.
Le plaisir convoie l’idée de la jouissance et donc de la totalité alors que, pour moi, écrire comme vivre est du côté du manquant. Dans le Déclin de L’Empire Américain, une femme lassée de son partenaire de partouze lâche un « aboutis! » excédé. Je ne pense pas qu’on aboutisse un texte. L’écriture s’inscrit dans le temps de la vie, un temps de contraintes sans relation avec l’écriture.
Quant à savoir pourquoi on écrit… Si on pouvait faire autrement, ça se saurait !
Merci pour cet échange.
pour mal citer Beckett, l’écriture donne simplement la possibilité de respirer. Ce n’est pas du plaisir, c’est une nécessité organique, et parfois de la joie. je viens d’écouter le zoom 21 juillet (pas très en avance, je sais) et j’ai apprécié que vous fassiez cette distinction plaisir/ joie. pour moi, la joie a ceci de supérieur qu’elle est même capable de visiter le malheur… Merci donc !
Bonjour Catherine et merci pour ce coup d’œil de lynx. La joie est effectivement une tout autre entrée, un tout autre espace. Et ses manifestations portent leur mystère, leur étonnante temporalité.
Je propose que nous nous tutoyons, après tout ce temps.
Yes Emmanuelle pour le tutoiement dans la joie!