Ça débarque pour les vacances, ça envahit l’espace, en deux temps trois mouvements ça met la maison en l’air, non mais faut voir ça… la petite mère, elle n’est plus chez elle mais elle laisse faire… ça ne t’embête pas si on prend les draps bleus parce qu’ils sont bien plus ?… mais c’est vous qui voyez… et ça prend ses aises, surtout la bru… ah la bru c’est la plus sauvage de tous : et on sort les verres à pied pour le déjeuner hein ? on ne va quand même pas boire dans les verres de tous les jours (sous-entendu dans ces affreux Duralex, si ça ne tenait qu’à moi, je les mettrai à la poubelle)… enfin qui elle est celle-là pour décider de ce qu’il convient de garder dans les placards de la maison de famille ? elle n’est que la femme du fils, non mais regardez un peu comme elle fait, elle s’installe, elle impose sa méthode, décide de tout à un point que ça en devient inquiétant, tandis que la petite mère elle se tient à carreau… oh c’est vous qui voyez et ce sera bien comme vous voudrez… elle le dit à tout bout de champ comme si elle n’avait plus que ces mots-là pour s’exprimer, c’est vous qui voyez c’est vous qui c’est… et sur tous les sujets : le degré de cuisson du rôti, la façon de couper les courgettes, la mise de table, l’heure de la promenade… une forme d’acceptation, presque de soumission… par moments une salive pleine de mots lui remplit la bouche parce qu’elle aurait préféré qu’on découpe les légumes en bâtons et non en rondelles (c’est vrai qu’à force ça agace d’être dirigé dans sa propre maison, ça gratte dans la gorge, ça met plus bas que terre) mais elle se retient… surtout ne pas braquer le fils pour une histoire de courgettes… ne pas, ne pas… ce serait la catastrophe… ah au fait on ne t’a pas dit, mais demain on partira tôt pour arriver avant la grosse chaleur… faîtes donc comme ça vous arrange… elle fait de son mieux pour ne rien montrer… non mais c’est vous qui… c’est comme vous… elle repense au fils quand il était petit, si mignon, elle s’en tient à ça, elle a comme qui dirait baissé les bras… ce tumulte dans la maison, cette atmosphère d’orage… ah mais c’est vous qui voyez pareil à un leitmotiv, elle ne peut pas dire mieux… elle est parvenue si loin dans sa vie… elle s’en moque… distance et lassitude dans sa voix, visibles dans les mouvements de ses vieilles mains… ils feront bien comme ils voudront, après tout…
codicille : trouver la bonne phrase capable de résonner profondément, trouver ce peu de mots qui en dit tellement... chercher, ne pas trouver tout de suite, laisser de côté... y revenir et puis se jeter à l'eau... Sarraute ne nous épargne rien, on voit si clairement quand elle dit, pointe du doigt, insiste jusqu'à dessiner parfaitement la figure trop fort tenter quand même (toutefois sans imiter) !
sont aveugles et sourds les autres ? parce que c’est vous qui voyez ça a toujours vouu dire NON
jubilatoire
oh chère, vous confirmez ma tentative.. hésitante… j’avais peur de… enfin je voulais…
et enfin vous êtes là, chère B et vous m’êtes si précieuse…
Ce que je trouve super dans ce texte ( supérieur) c’est que la situation est de part et d’autre une somme de lâcheté de petits arrangements. C’est ce qui est fort chez Sarraute, le perd-perd. Et puis ça m’a rappelé une expression dans le même esprit : « On mange quand on veut » en lieu et place de » C’est prêt ! » ou « À table », qui serait sûrement trop directif (sic). Bref, merci.
touchée par ton passage par ici, Emmanuelle
oui, le genre de situations que Sarraute traite de façon si pointue (c’était là ma tentative, d’aller à la charnière), ce qui ne se dit jamais, ce qui sous-tend les relations impitoyablement (ce dont je ne veux plus dans ma vie !!…)
Bref, merci à toi…
Bien vu.
si juste ! j’ai ri, merci !
oh tant mieux si je t’ai fait rire… c’est vrai qu’il y a de quoi se plier en deux…
merci Caro de m’avoir visitée (on n’a pas forcément le temps pour cela)
(jte parie qu’il est fils unique) (enfin ce que j’en dis – faudrait voir…) mais en général (au final ou au global si tu préfères) c’est mieux de l’ouvrir pour dire ce qu’on est (etmerdalabru) (jdisça jdisrien) (merci j’adore)
ah ah j’adore ton inventivité
ben non, pas forcément fils unique, mais c’est pareil…
oh merci pour ta lecture…
Très juste! Les comportements passifs agressifs ou le non dit est d’une violence! Avez vous déjà vu Francoise le film « un conte de Noël « d’Arnaud Desplechin? Votre texte m’y fait penser
Merci Géraldine pour la référence…
merci d’être passée lire…
Sarraute nous emmène toujours dans ces interstices de non-dit, dans la violence du quotidien à travers ces mots anodins qui crucifient l’air de rien…
à tout bientôt ?
C’est aussi clair que chez Sarraute. Je vois le personnage de la mère comme une figure de l’abnégation (un archétype féminin ?) ; C’est si bien vu et dit. merci
Oh oui pour la figure archétypale…
la mère prête à tout pour sauver l’apparence, surtout ne pas provoquer d’ondes dévastatrices, conserver la famille telle qu’elle l’imagine… la mère qui n’a pas le courage de monter au front…
on n’a qu’à puiser autour de nous, les figures sont là, prêtes à être saisies…
merci Béatrice…
A mon tour d’aller à la rencontre de ton écriture, Françoise ! Un texte tellement d’actualité en ces temps estivaux où les maisons s’envahissent ! ça sonne tellement juste et c’est terrible cette façon qu’ont les autres de vous envahir, de vous polluer, de vous effacer (la fin est terrible…reste plus que le soliloque puisqu’on ne « s’entend » plus pour finir)…Bref, merci !
J’apprécie ton écho de lecture, Emilie…
et tu as raison, on est bien dans l’actualité brûlante estivale où ça dérape, où ça réduit l’espace personnel, l’espace essentiel à la respiration… et puis aussi cette disposition d’être prêt à tout pour préserver les liens familiaux, pour ne pas être seul.. Lines familiaux ? Famille ? tu parles !!
A bientôt de se retrouver