— Merci
— Pas de souci
Chaque fois que je dis merci pour un café servi en terrasse, une porte retenue, un paquet remis, j’ai la même réponse : « pas de souci ». Certains osent même le « no souçaye », plus anglophone. Comme si je me faisais du souci quant au service rendu. Ou alors ce « pas de souci », ou sa version anglaise, remplace feu le « de rien », va savoir ?
Je ne vous parlerai pas de cette expression mais d’une autre, pas vraiment récente, c’est celle qui normalement, si on la prend au pied de la lettre, devrait conclure une longue confidence, pleine de déboires, de malheurs, de douleurs. Moi en face, j’acquiesce, je m’étonne, j’ouvre des yeux ronds, je soupire pendant que l’autre raconte. Manière polie de compatir, de partager, d’être de son côté… Ouf, nous voilà arrivés à la fin mais là, surprise, arrive le « et j’te raconte pas… »
Comme une résurgence soudaine, le torrent recommence sa folle course, et c’est parti ! Je n’ai pas le temps de faire un geste, pour signifier « stop ». Les mots-pierres roulent charriant d’autres maux, d’autres phrases assassines…
Combien de fois, ai-je voulu retenir l’avalanche de récriminations mais à chaque fois le « et j’te raconte pas… » m’a clouée au bas de la pente, ensevelie sous les couches cahoteuses d’éboulis. S’ensuivait « …ce que j’ait souffert, ce que j’ai dû lutter, ce que qu’il m’a fait, etc. »
Je suis invitée à la table de gens que je connais peu, une des convives n’arrête pas de raconter sa vie sur le ton de la plainte, ce qui m’exaspère. Comment peut-on se répandre ainsi devant des inconnus ! Et au bout du bout de sa pénible histoire, alors que certains n’écoutent plus depuis belle lurette, et moi avec, j’entends le fameux
— et je ne vous raconte pas…
— et surtout, ne le raconte pas !
bien malgré moi (« ça ne se fait pas »), j’ai laissé fuser la phrase-stop-avalanche. Mais comme d’habitude rien n’y a fait, son torrent de déconvenues a continué, l’air de rien. Longtemps après, je l’entendis s’excuser : « je vous ai peut-être saoulés », et non sans un sourire intérieur, je la gratifiais d’un banal « pas de souci ».
« Pas de souci », c’est l’excellent leitmotiv pour fuser loin, le « no stress » de today… c’est une belle aventure, d’écouter !
Très belle plume !
Désolée mais pour moi « j’te raconte pas », ça fait automatiquement référence à : https://youtu.be/8fSbHbvtCUg 😉
Ah ! Je ne connaissais pas ce sketch des Inconnus… l’expression y est prise au pied de la lettre par la copine. Très drôle ! Merci.
Et voilà donc que l’on raconte ce que l’on ne voulait pas que l’autre raconte… Séduisante ironie.
Pas exactement…
Merci pour ce sentiment d’avalanche introduit par la phrase paradoxale. Si vécu !
J’te raconte pas combien j’apprécie ce texte où les mots, telle une avalanche, nous emporte. Je serais curieuse d’un texte qui prolongerait le « pas de souci », si souvent rencontré.
Excellent !