Les expressions toutes faites ont une certaine noblesse, celle d’entretenir une conversation plutôt que de ne dialoguer avec personne. C’est un acte désespéré que de parler de la pluie et du beau temps, une tentative louable d’avoir un échange verbal avec un congénère humain, d’oser la tentative de discussion. Profondément installé dans notre solitude on les aperçoit de loin, ces éléments de conversations de circonstance, cet espèce de rituel de conversation plurimillénaire, on les espère, on envie ce semblant de chaleur quotidienne qui nous échappe toujours davantage. On en a en toute une collection en réserve au cas où et on est prêt à les ressortir à la moindre occasion venue. Tant qu’il y a du soleil, c’est quelqu’un qui a au moins pris la peine de vous répondre ou de vous adresser la parole. Se dire que s’il y a du soleil ça remonte le moral, ça dépend du niveau de déprime ou de dépression, mais le soleil ça met du baume au coeur, ça nous aide à voir le côté positif des choses, le soleil y a que ça de vrai. Et tant qu’il y a du soleil c’est aussi une façon de se serrer les coudes, et d’être au moins deux face à la fatalité. C’est en cela que les expressions toutes faites ont un certain sens de la communauté.
Des paroles au moins. Des paroles fixes, un groupe de mots collés multifonctionnel, un langage comme point d’appui pour se tenir dans le vide. Bienvenue aux expressions toutes faites ! usées par tous ou presque, elles ont acquis une valeur de l’usage, une valeur du nombre. On ne prend aucun risque à les utiliser, on met son petit gravier à l’édifice de la relation, un petit gravier banal certes, mais non dénué de charme et si bien poli qu’il glisse tout seul. Utiliser des expressions toutes faites nous préserve de la singularité et nous fait adhérer à un groupe, une communauté, un esprit. Elle est presque même conceptuelle et en quelques mots peut nommer tout un continent d’idées et de sensations.
… A qui mieux mieux, y a pas d’lézard, comme à la maison, le petit personnel, ma petite dame, ah ben dis-donc, non mais dis-donc, eh ben alors ça, non mais ho, mais je vous en prie, comme au bon vieux temps, bien le bonjour, on n’est pas là pour rigoler, on n’est pas là pour faire la fête, comme en quatorze, comme une lettre à la poste, et pourquoi pas, mi figue-mi raisin, courir à hue et à dia, se casser la margoulette, faut pas pousser mémé dans les orties, bonnet de nuit comme pas deux, à brûle-pourpoint, à la vas-y comme je te pousse…
Au-delà d’un certain charme relevant du pittoresque, le risque en revanche est de vite verser dans le factice, voire même dans un côté un peu rance des bonnes expressions vieille France, mais je ne développerai pas ça ici… Pour en revenir au côté factice on fait comme si, on fait comme on voudrait que ce soit. Des expressions qui font illusion… un certain penchant pour le pittoresque. Elles donnent l’illusion que tout va pour le mieux. Une sorte de parade, une façon de se défendre, de ne pas trop en dire. C’est que du bonheur . Le sourire forcé alors que tout va mal c’est que du bonheur. Tout résumer à une seule tonalité, réduire tout à l’emporte-pièce, être tellement au bout du rouleau qu’un c’est que du bonheur c’est comme une tentative de se redonner du courage dans toute cette mélasse, une façon de couper court à la conversation et de ne pas s’attarder sur ce qui fait mal. Les enfants qui hurlent mais c’est que du bonheur. On vient de se marier c’est que du bonheur. Mon fils a deux mois et demi. – Ça va les nuits ?. J’en peux plus je te jure mais à part ça c’est que du bonheur. On part en Sardaigne avec mon mec. – Génial c’est que du bonheur. Je me suis cassé la gueule sur une péniche et je me suis carrément pété la cheville, le pied en travers je l’ai remis toute seule. – Mmh c’est que du bonheur. Tous ensemble sous le plus gros chapiteau du monde c’est que du bonheur.