Il arrive une chose étrange quand je la vois. Je veux dire, surtout depuis que je m’en suis rendue compte. C’est quelqu’un que j’apprécie, charmante, vraiment une personne recommandable, à tout point de vue disons, de ce que je connais d’elle, nous ne sommes pas non plus intimes. Mais cela fait quelques années, nous avons eu de nombreuses occasions de nous rencontrer, je crois pouvoir dire que nous nous apprécions. C’est à dire que j’éprouve du plaisir en sa présence, sincèrement, je suis bien. Je me sens naturelle, pas particulièrement gênée ni rien, je dirais normale, contente, légère je ne sais pas – il ne faut rien exagérer non plus. Et puis, l’autre jour, se déroule un phénomène insidieux, indépendant de ma volonté en tout cas, complètement. Je réalise que subitement, une expression banale et même nulle, « c’est clair », une expression qui n’engage à rien, « c’est clair », ne cesse de me venir à la bouche en sa présence. Et cela, à de multiples reprises. Est-ce qu’elle vient de l’employer ? non. Elle me parle un petit moment et je dis « c’est clair », je ne trouve rien d’autre à dire dans l’instant. Je la regarde et c’est ce qui me vient, je dirais spontanément. C’est vraiment tout ce que je pense « c’est clair ». Et tout de suite je pense mais truffe, trouve autre chose, elle va le prendre pour elle. Pourquoi cette expression réchauffée qui ne dit rien « c’est clair » c’est vraiment le propos zéro, ça ne parle pas, « c’est clair », ça pourrait dire clair comme limpide mais même plus, tellement ça a été dit. Clair c’est comme neutre. « C’est clair » ça pourrait signifier oui, mais alors on se demande, pourquoi ne pas dire « oui » justement « oui » ce mot tout simple et qui dit l’accord, qui dit l’adhésion crue, sans retenue. « Oui » c’est bien, c’est rare aussi. On dit finalement peu « oui », obligé que l’on se sent toujours d’ajouter des mots aux mots, « oui, c’est vrai », « oui, carrément », « oui, trop ». Trop ! Alors que « oui », c’est rond, c’est fini. Voilà, je tentais laborieusement de trouver une issue, j’avais peur que ce ne soit plus seulement cette expression qui s’invite mais un rire frénétique, ou même un cri. Et elle continuait à parler, à parler. Je n’arrivais pas à savoir si je l’avais gênée à répéter ça bêtement encore et encore, ça revenait « c’est clair », je n’arrivais plus à sortir de ce piège idiot, je ne savais plus rien dire d’autre. Et la gêne était telle que j’ai opté pour le détachement, je l’ai dit encore « c’est clair », comme un réflexe qui n’aurait rien à voir avec elle « c’est clair », comme si c’était toujours mes mots, comme si je n’en avais plus que trois, avec ou sans elle en face. C’était faux, bien sûr que c’était faux. Ce n’était rien d’autre qu’elle, Claire. Et quand elle est partie, le sort était levé.
C’est clair fait partie de ces expressions dont on croit pouvoir se débarrasser mais qui réapparaissent insidieusement sous d’autres formes. Oui tu m’étonnes ! Carrément !
Phénomène bien décrit que j’ai rencontré avec un petit garçon dont j’avais la responsabilité et dont le prénom était Teddy. Je ne pouvais pas m’adresser à lui sans commencer par : » Teddy, qu’est-ce que je t’ai dit ? » Je dégainais plus vite que mon ombre et ça m’agaçait au plus haut point… Il y a des prénoms comme ça… qui induisent…