A l’assaut
Un petit groupe d’amis dans le parc, ou bien une réunion entre collègues, autour de la grande table de l’open space… Il ou elle
a sans doute commencé par J’ai pensé que … .
a, nous l’imaginons, pris de nombreuses précautions, J’ai pensé que, peut-être… , Enfin je me suis dit, que peut-être, on pourrait . Et tout d’un coup…
a lâché la ficelle du ballon gonflé à l’hélium jusque-là tenue si fort… Tâche de couleur au ciel, l’idée merveilleuse a été libérée…
Silence.
« Alors comment te dire… »
Silence. Le ballon perd en altitude, il perd son souffle. Bruit de pet faiblard dans les airs. Une tâche informe retombe ici, juste ici, à ses pieds, là d’où tout était parti.
« Alors comment te dire… »
En une seule phrase, même pas une vraie phrase, même pas une vraie question, tant de coups sont assénés. Foireux. Merdique. Stupide. Nul. Pitoyable.
Silence. Rien d’explicite puisqu’on ne sait pas, on l’a dit, comment dire. Et pourtant tout est dit. C’est comme une litanie. Foireux. Merdique. Stupide. Nul. Pitoyable. Elle résonne dans le silence. Foireux. Merdique. Stupide. Nul. Pitoyable.
« Alors comment te dire… » sera peut-être, plus tard, suivi de « Je ne veux pas être méchant, mais », ou d’un bienveillant « ce n’est pas une mauvaise idée mais ». Mais.
« Alors comment te dire ». Toute la honte reste à boire.
………………………………………………………………………..
En défense
On rumine à l’intérieur. C’est qu’on ne s’y attendait pas. Que s’est-il passé ? Un reproche qui a pris la forme condescendante d’un conseil ? Tu ne devrais pas t’emporter comme cela. Tu pourrais prendre soin de toi. C’est dans ta tête tout ça. Ils ont sans doute des raisons de t’en vouloir, non ? Tu es sûr d’avoir fait tout ton possible ?
Alors comment lui dire… On ne sait pas, vraiment. On a besoin de temps. La formule donne, un peu, de ce temps. Alors… Comment…Te dire. Silence. Mais à l’intérieur cela cause. Des petites bribes par ici et par là. Cela germe dans la poitrine et dans la tête, cela pousse, cela grandit…
Souvent, ça part dans tous les sens, c’est informe, des bouquets d’insultes d’une grossièreté réconfortante. On est impuissant à les prononcer, cependant. On sait bien que cela dépasse, déborde, qu’on aurait l’air hystérique. C’est d’une voix hésitante et le cœur gros qu’on a prononcé « Alors, comment te dire… ». Et on n’ira pas plus loin, on tournera les talons, la tête haute. C’est déjà ça.
Très exceptionnellement cependant, cela prend la forme d’un jardin à la française à la croissance express : géométrie parfaitement rationnelle, arguments bien taillés. Le « Alors comment te dire » qui a fait éclore ce petit miracle de l’à-propos disparaît, s’efface. C’est un Je t’arrête tout de suite qui va s’épanouir sur la bouche souriante. On plante un décor terrassé, régulier, impeccable, implacable. Il n’y a pas d’issue, l’autre est perdu dans le beau labyrinthe irréfutable. Un seul chemin possible, s’il veut s’en sortir ; celui qu’on a tracé le temps, juste le temps de prononcer ces mots : « Alors comment te dire ».
Derrière ces quelques mots s’en cachent tant d’autres… Très joli texte, poignant et poétique.
Merci Elise!
Comment te dire … j’ai beaucoup aimé ton texte