#P3 Manger blanc

blanc – le blanc de poireau, le chou fleur, le champignon de Paris, l’asperge, le pâtisson, l’ail, le coprin chevelu
blanc – liquide – le lait de vache, de chèvre, de jument, d’ânesse, le lait de coco, le lait de poule, le lait fermenté, le sirop d’orgeat
blanc – crémeux – la crème fraîche, la chantilly, le yaourt nature, le fromage blanc, la glace à la vanille
blanc – germé – soja, pois chiche, alfafa, lentille 
blanc – blanchi – riz basmati, riz du Surinam, riz thaï, riz de Camargue, riz gluant
blanc dedans – épluché – l’oignon, le salsifis, le navet, la pêche
blanc dedans – émondé – l’amande, l’orge, la noisette
blanc dedans – mordu – le blanc de poulet, la cerise bigarreau Napoléon
blanc dedans – coupé – la mie de pain, la tomme de brebis, la noix de coco
blanc dedans – écalé – le litchi, l’oeuf dur
blanc dedans – cassé – le blanc d’oeuf, les œufs à la neige, l’île flottante, la meringue.

L’œuf gobé chaud sorti du poulailler, la pointe du couteau, un petit trou percé dans la pointe de la coquille, un plus gros dans l’extrémité plate, membrane rompue, chambre à air éventrée, je lève la tête, contact du calcaire tiède sur mes lèvres d’enfant. Toujours la même frayeur quand j’aspire. Le blanc visqueux glisse sur la langue, le poids du jaune entraine le contenu de l’oeuf dans la gorge. Avalé. 

Litchi
Les doigts palpent l’enveloppe écailleuse, l’ongle du pouce crève la carapace rosée, les dents déchirent la pulpe blanche du fruit pour extraire le noyau. Noyau oblong, brun et lisse, tentation de l’avaler, il fuse dans l’oesophage comme un son aigu s’enfoncerait dans le corps, sa pointe se plante dans la poche de l’estomac. Un nid.

Manger la neige
Ouvrir grand la bouche sous le bonnet, courir dans la bourrasque et sentir les flocons de neige se dissoudre sur la langue.
Griffer la neige juste tombée, poser au creux de la langue un amas de cristaux, attendre qu’il fonde, avaler, être déçu du peu d’eau pour la soif. 
Modeler une boule bien serrée entre les gants, croquer à pleines dents, le froid remonte dans les gencives, agace les nerfs, glisse dans la bouche, je déglutis, crampe de l’estomac, ventre glacé.

A propos de Aline Chagnon

Ce qui me passionne dans l'écriture, c'est l'expérience, le chemin.

8 commentaires à propos de “#P3 Manger blanc”

  1. Je reste étonnée par tant de sensations pas du tout blanches tant elles sont riches de ressentis, nichés au creux de l’enfance.
    Cela coule bien tout ce blanc, du dehors au dedans, dans tous ses états, et pour finir les trois zooms. Superbe.

  2. Très sensoriel, on lit avec tout le corps, et on garde un peu après la lecture la sensation de la carapace du litchi qui cède.

  3. Superbe, passionnant tous ces blancs
    Comme un repas chromatique à la Sophie Calle
    merci

  4. Pour les liens avec le corps, c’est le bon sujet… et quelle belle idée que de développer le blanc… matières, aspects, on a le litchi dans la bouche et on mord la neige…
    Je suis contente d’être passée par chez vous, Aline…