Que faire ? La tarte aux abricots, le soufflé aux pruneaux, le beignet
de compote, le biscuit de Charlotte, non ! Ah ! Le cake d’amour.
Peau d’âne, Jacques Demy
Dans le carnet on ne trouvera pas les recettes des plats salés, des plats transmis. Ni la proportion de légumes pour le couscous, ni le poids de viande qui peut rester approximatif pour la pastaciutta. Un kilo de farine de châtaigne pour deux litres d’eau, a pulenta exige surtout un feu doux — le temps de cuire la farine—, et de la force dans les bras pour tourner sans cesse le mélange. On ne compte pas les poignées de petits cocos roses pour la soupe, ni les brindilles de thym. Mais pour la pâtisserie c’est une autre histoire, il faut davantage de mesure, de précision, c’est une affaire de balance, de verre doseur, de mains bien pesées. À l’encre violette, de son écriture en boucles joyeuses, elle a consigné sur un carnet à petits carreaux les quelques recettes des desserts dont elle nous régalait, la tourte aux poires fondantes gavée de sucre, le kramik au goût de levain, les crèmes renversées, les îles flottantes, leur caramel brun que je promenais à la petite cuillère dans la crème anglaise. Et les frappe. Ma mère tenait la recette de ma grand-mère qui elle même la tenait de sa mère. Aucune de nous — les cousines — ne s’est résolue à reprendre le flambeau. Pourtant chacune d’entre nous se souvient de ces beignets préparés à chaque retrouvailles, chaque fête de famille. Ils attendaient sur le buffet, en pile généreuse dans l’assiette du dimanche, leur croûte dorée couverte de grains de sucre blanc. Pourtant nous nous souvenons des mains de Pauline, d’Annie, ou encore de Pierrot, pétrissant la farine ramollie de margarine fondue, au prétexte que c’était meilleur pour la santé que le beurre — sans doute ça coûtait moins —, et d’avoir vu fondre les blocs laiteux de graisse végétale dans un peu d’eau. Pourtant chacune d’entre nous les revoit armées d’une roulette ou d’un couteau découpant l’abaisse en gestes sûrs. Je parie que chacune nous avons chapardé un bout de pâte crue avant qu’elle ne soit précipitée dans l’huile bouillante. Je sais qu’aucune n’a oublié le parfum d’anis et de citron. Maintenant les livres de cuisine exhibent leurs desserts parfaits, la surface lisse et brillante d’un macaron, la prétention de la tarte déstructurée, le dressage impeccable imposé à nos assiettes du dimanche quand je voudrais planter les dents dans les beignets épais, sans doute trop gras et trop sucrés, les mal nommées frappe — e frappe — qui consolaient tous les chagrins.
Merci pour ce texte gourmand, plein de saveurs et surtout de sensations gustatives, et qui restitue bien l’atmosphère familiale vue par des yeux d’enfants.
Ah merci Laure, je reste surprise qu’aucune de nous n’ai songé à reproduire ce goût d’enfance et d’amour … heureusement il y a les mots, et les votres sur la même proposition m’ont enchantée !
Bravo Caroline ! J’ai vu ton blog également j’ai tenté de laisser ce commentaire : Bonjour j’arrive depuis les ateliers du Tiers-Livre. Belles photos sur le blog. J’ai relu plusieurs fois ce texte, l’absence de ponctuation aidant, j’aime beaucoup, il y a quelque chose de magnétique, de musical, comme les brins d’une chanson.
Merci Aurélien, et aussi d’avoir pris le temps de visiter le blog, ouvert quelques mois après la première participation aux ateliers du Tiers livre, la photo m’ouvre souvent une voie pour écrire…