La main encore molle de sommeil, les doigts qui s’ouvrent à peine convoquent une force naissante et empoignent le manche de la machine à café expresso manuelle. A deux mains, enlever le café de la veille avec une baguette, se soumettre à l’épreuve de la poubelle, doser deux cuillères rases pour un café double, ré-emboîter le manche, le serrer, tourner le bouton central et faire couler le café, puis un deuxième. Certains matins, les gestes savent et se succèdent, les grains de café glissent ensemble dans le percolateur, le café est soyeux, les langues réchauffées se délient et entament une ritournelle comme on prend sa journée en main.
D’autres matins, les gestes balbutient, se heurtent à de minuscules empêchements invisibles ; le manche bascule et le café se répand, la tasse tremble, se déplace, le café coule à coté, ou le réservoir d’eau réclame à boire dans un bruit qui nous saisit au cœur de notre soif commune. La machine en prolongement de nous-mêmes présage de notre journée, à moins d’y prêter attention.
Les cafés ensuite posés à table, trop chauds, trop froids, débordés, trop courts et souvent à la bonne température. Les deux traits de cafés passés par le percolateur forment en surface une mousse de couleur mordorée délicatement posée sur le liquide sombre, révélant une forme, telle un nuage laiteux. La matière de la mousse offerte au hasard des mouvements de la tasse portée à nos lèvres, évolue dans une succession de petites gorgées chaudes, puis rapprochées, le temps presse. La forme progresse et se transforme en un ultime mouvement de poignet qui la fait tournoyer jusqu’à engloutissement dans une étreinte renversée à pleine gorge. Seules subsistent les alvéoles déposées sur les rebords internes de la tasse de porcelaine blanche, formant une ligne d’horizon.
A ce jour, une multitude de formes sont apparues : des animaux : lapin, ours polaire, éléphant, blaireau, souris, oiseau « ah tu vois un oiseau toi ? » ; des humeurs : joie, sourire franc, timide, surprise, stupeur, fierté ; des symboles : cœurs, phénix, yin, yang. Alors imaginer des correspondances, renaître de son sommeil de cendre, associer, penser aux signes, les formes venant convoquer les rêves enfouis d’un quotidien sourd. Et parfois rien, une grimace informe tout au plus. Il y a aussi les jours où la forme est retournée au néant sans que notre œil s’y soit arrêté. La mousse, incriminée, n’a pas su nous interpeler dans son silence offert, alors que notre attention était tout à fait prisonnière d’une colère rouge faisant trembler l’instant qui s’échappe, les clins d’œil du café avec.
Chaque matin, ce ciel noir sous nos yeux offre ses nuages dans une sensualité tendre, secrète, une langue qui ne se dit pas, et qui s’efface dans un défilement des secondes. La journée peut commencer, le café en a décidé.
J’aime ces « empêchements invisibles » du petit matin, déterminants pour la suite de la journée. Je découvre un cérémonial inconnu – pour moi ce sera du thé – et je lirai bien dans le marc du café les mots qui s’écrivent. Merci pour cette pause café !
Merci pour votre lecture ! La voie du thé passionnante aussi !