Les mains dans le beurre, glissement, ça malaxe, les mains poisseuses dans le beurre ramolli, l’odeur du beurre, fade et entêtante, le lait qu’on trait, le lait qu’on écrème, la crème qu’on baratte, c’est au fond de la cuisine que cela se passe, la baratte en bois, sous la fenêtre, on est assis sur un tabouret, mouvement de bas en haut, mouvement de haut en bas, ça fatigue les biceps, c’est de plus de plus en plus dur, la crème devient beurre, ça devient solide, ça tire dans les bras, il faut mouler, démouler, ça donne comme des lingots d’or sur lesquels se dessine une edelweiss. D’autres emploient une centrifugeuse, c’est plus rapide, on verse, on tourne la manivelle, on appuie sur un bouton, on attend, on emballe, on vend, mais la plaque de beurre à l’ancienne, il lui faut un beau beurrier de porcelaine – le beurre moderne se content de plastique – avec pour une belle poignée pour soulever le couvercle, puis on choisit un endroit libre dans le frigo, peu importe où, le beurre, on peut même le mettre au congélateur, le congeler et le décongeler à l’envi, il n’est pas pénible, le beurre, il est passe-partout, il s’insinue dans les coins cachés des plats, on badigeonne au pinceau le fond de la lèchefrite, on en dépose une lichette dans la poêle, ça fait des petites bulles quand ça chauffe, on en ajoute dans les épinards si on en a les moyens, on le transforme en crème gelée pour entourer le vacherin glacé, on en fourre les croissants chauds et les biscuits, de l’eau, du sel, un peu de beurre, des asperges, cuisine au beurre, cuisine généreuse, beurre dégoulinant des livres de recettes, Paul Bocuse roi du beurre, du beurre jusqu’à l’overdose, il est toujours l’heure de manger du beurre dans ma demeure à Soleure et de se beurrer au beurre et de beurrer les sandwichs pendant la surprise-party – scènes d’anthologie du cinéma franchouillard, Tontons flingueurs et Cage aux folles – on beurre la biscotte, le pain blanc, la tresse, la cuchaule, on beurre le croissant au beurre et dès le petit-déjeuner, on se gave de beurre, beurre et confiture, beurre et miel, beurre et moutarde Bénichon, beurre de cacahouète, on entame le beurre au couteau ou au fil à couper le beurre, par lamelles ou par tranches, on coupe la tige de l’edelweiss, on la gratte, on a laisér au préalable le beurre fondre un peu, pas trop, on commence à étaler le beurre sur le pain, ça fait des blocs, on n’a pas sorti le beurre assez tôt du frigo, on attend, on mélange le beurre et la mélasse, on essaie à nouveau, ça glisse, ça nappe, ça coule dans les trous, la tartine est beurrée, certains déchirent des petits bouts de pain, y posent un rien de beurre et de gelée aux coings et ingurgitent petit à petit des carrés minuscules, d’autres préfèrent de bonnes grosses tranches épaisses à souhait qu’ils essaient de faire entrer d’un seul coup dans leur bouche grande ouverte, mâchoire décrochée, dents acérées, langue retroussée, lèvres gercées à force de s’étirer, la main tient la tartine avec fermeté, elle s’élève précautionneusement vers l’antre béant, laisse au passage un peu de beurre et beaucoup de confiture dans la barbe et c’est presque achevé, la tartine est positionnée comme il faut, bien à l’horizontal en face de la bouche en apnée, le poignet n’a plus qu’un seul mouvement à faire et l’opération sera réussie, mais la main tremble au moment décisif, la tartine s’en échappe et elle tombe au sol, toujours du côté du beurre.
Eh, oui, la tartine de beurre a décidément le même réflexe que la tartine de confiture des Frères Jacques ! Doux rappel de l’heure qu’il est d’aller porter le beurre à la demeure ! Tout ça m’a rappelé le bouton d’or, qui, placé sous le menton, révèle inéluctablement si on l’aime ou pas le beurre ! Belle photo, on dirait presque du chocolat blanc, ce beurre…