1 – Le vent fait courir une nappe sur la lande. Quelques nuages ballottent dans un bleu presque délavé par un soleil omniprésent. La falaise surplombe la mer dans un à-pic vertigineux. Par endroit une rambarde, mais pas toujours. Combien de morts leur faut-il ? 2 – Ils arrivent par la mer sur leur bateau cabine, s’amarrent et montent sur le ponton. D’autres prennent la navette. Traversé la route, on entre dans la vieille ville. Ici pas de voitures ou alors électriques et uniquement pour les besoins de la ville. 3 – Sur la jetée, une femme, seule, assise sur un banc, le regard vers l’horizon. Elle fume une cigarette blonde. Elle a noué son foulard sous son menton, son sac est posé à côté d’elle. Il est verni noir. Elle te fait penser à ta mère et cela t’émeut. 4 – Les murs sont blancs et les volets à persienne d’un bleu profond qui rappelle certains villages de Grèce. Parfois entrouverts, on devine la table de bois cirée avec le napperon de dentelle au centre. 5 – La place, au centre de la ville basse, animée par les jours de marché, bordée de cafés. Elles sont trois. Elles prennent place sous l’ombre donnée par l’immense platane qui trône au milieu. Deux ont un chapeau de paille achetés à l’instant. Elles commandent un apéritif au patron qui les reconnait. Une fois servies, elles se penchent et entament dans leurs chuchotements la délivrance du secret. Cette table leur est toujours réservée. 6 – Le capitaine délégué sur place repousse le dossier. La chaleur l’accable. Le climatiseur est en panne et seul un ventilateur peut donner un semblant d’air mais il faut être tout près de lui. Les volets sont tirés. Il ne veut pas être là, il rumine, il prend son chapeau et sort, rejoint la place et s’assied en terrasse. 7 – Derrière la place, on entre dans un lassis de ruelles étroites, des fils tendus d’une fenêtre à l’autre, on se croirait dans un film italien de la grande époque. Après une échoppe de matériel du pécheur, une impasse sur la gauche et au fond, derrière une sorte de coffre en bois, trois gamins, torses nus, en short, se relèvent au bruit de nos pas, nous regardent ahuris et disparaissent derrière un rideau de perles. 8 – Un peu à l’écart après les bateaux, trois criques se suivent, avec un espace de sable grossier, des galets et des gros blocs de rochers presque noirs couverts par endroit de moule. Si on escalade ces amas, on passe d’une crique à l’autre. Et en surplomb, la falaise. 9 – La première, on l’a retrouvée au début de la grotte qui débouche sur la troisième crique. Les mômes, ils vont y jouer pour se donner des frissons, se prouver qu’ils sont forts et qu’ils n’ont pas peur. C’était après une marée plus forte que les autres. Ils ont dit que ça devait faire un moment qu’elle était là. Nous on a eu du mal à la reconnaitre. On n’y croyait pas. 10 – Il y a toujours ce projet de pont, depuis bien longtemps. Il y en a qui sont pour, aller à la grande ville plus facilement, éviter le mal de mer. « Et puis un bus pour le ramassage scolaire, ce serait un plus non ? … » Ceux qui sont contre veulent rester tranquilles, entre eux, ont peur de l’envahissement, de la perte de leur histoire. « Déjà que les vedettes taxi avaient changé la donne, alors un pont… ». 11 – La deuxième, elle serait tombée du plat là-haut, là où la rambarde doit être réparée, si, si, bientôt. 12 – Le cimetière est adossé à une chapelle, le tout à flanc de colline. Il y a peu de sépultures, souvent très simples et la majorité sont très anciennes. Des croix rouillées par tout le sel de la mer, des pierres tombales cassées ou effondrées dans le sol. Des fleurs fraiches sur un monticule de terre d’un enterrement récent. 13 – L’enquête piétine. 14 – Le préféré des locaux c’est celui de Maria. Elle s’est installée avec ses deux filles, il y a sept ans, dans l’ancienne poissonnerie. Deux chambres au-dessus pour vivre mais la majeure partie de son temps elle le passe dans sa cuisine à préparer des plats aux saveurs exotiques de son pays. La cuisine elle l’a mise au centre du local, et autour il y a un comptoir avec des tabourets hauts. Et puis à gauche un petit paravent qui ne cache pas grand-chose, derrière lequel un bureau est réservé aux adolescentes pour faire leurs devoirs avant d’aider la mère au service du soir. 15 – La troisième, elle était dans la cave du vieux Charlie, au fond de l’impasse, avec son chapeau à côté d’elle tout cabossé et plein de boue. 16 – La mairie domine la ville et occupe une partie d’un ancien couvent. Le maire aime bien Maria mais c’est un grand timide alors il dine régulièrement et la complimente. Il aimerait l’emmener danser à la grande ville, loin des ragots. Il attend la fin de l’enquête. Pour l’instant Maria ne s’éloigne pas de ses filles. 17 – Depuis peu, un permis de construire est délivré pour la construction d’une demeure. Elle va surplomber l’ancien couvent. Dans les cafés, le soir, à l’heure de l’apéro, les langues se délient, le maire a touché un pot de vin, ce n’est pas dans le style du coin, oui mais ça donnera du travail, mais non ils vont faire venir des ouvriers d’ailleurs, encore des étrangers… 18 – Une vigne, battue par le vent qui donne un raisin aigrelet mais surtout un apéritif, doux, qui monte à la tête sans le dire ni le sentir. 19 – L’étranger, qui est arrivé par la mer, comme les autres, mais il est resté et a ouvert un atelier de réparation de vélos. A la belle saison, il loue des cycles qu’il a bricolés lui-même, récupérant à la ville les vieux clous dont personne ne veut plus. Lui, il les rend beaux, il faut bien lui rendre ça, même si sa présence a mis du temps à faire partie du paysage. Heureusement qu’il a des alibis en béton à chaque fois. 20 – Il y a Antoine qui est né ici, qui parle uniquement quand il a bu plus que de raison. La deuxième c’était sa fille unique, alors… Il vivote dans le hangar que le village lui prête. Il tresse des paniers que peu de gens achète. … 56 – L’enquête est devenue « cold case ». Le capitaine est à la retraite.