1. Augustana se veut humble. Chaque jour, elle change de nom afin de se rappeler que nul ne peut nommer les choses définitivement ; aujourd’hui Augustana, demain autre nom. Entre chien et loup, il est admis de l’appeler Laville. 2. De nombreux canaux enserrent la cité et la protègent. Ils ont la particularité de s’émanciper une fois l’an. Leurs berges s’ouvrent et leurs eaux se répandent sur des lieux à la ronde. 3. Les habitants de Laville ont chacun deux maris et deux femmes ce qui est commode pour tout ce qui touche au quotidien. Ils demeurent dans une maison ronde qui tourne sur elle-même pour suivre de près le plus possible, le soleil . 4. Arbres, vermisseaux et oiseaux sont vivants. 5. Quand les enfants sont petits, on les appelle affectueusement Ulysse ou Siréna selon leur sexe mais ils arrivent qu’ils soient si petits qu’on ne sache pas ce qu’il en est. 6. L’évaporation des scènes théâtrales reste du ressort des nuages. 7. Les jeunes enfants apprennent à parler la langue des quatrains et le rite de passage vers l’adolescence consiste à seulement employer la langue argotique. 8. Les voitures y sont présentes quoique rares de nos jours et il n’y a ni garage ni même parking bien que les panneaux les indiquant demeurent. 9. Les singes, compagnons fidèles et joueurs gardent la maison en l’absence des maîtres. Quelquefois, ils commandent aux enfants ou mettent le couvert. 10. Les faubourgs de Laville sont tous ventés et nus, seuls les grands boulevards s’ouvrent sur des boutiques. On y trouve des bocaux emplis d’air frais. 11. Chaque nuit de pleine lune, celles et ceux qui font profession de Sage, capturent dans des filets tous les vieux mots qui passent. Ils les forcent à entrer dans un sac d’étoffe grossière, les étouffent puis les jettent dans un des canaux. 12. Les poumons des Lavilliens sont connus pour être de taille volumineuse, en revanche leur cœur est discret. 13. Lorsqu’il pleut, on baisse les yeux et on se prend le pouls. 14. Un hippocampe posté non loin du canal sud est l’emblème de la ville. Le premier jeudi de chaque mois, il se cabre et hennit. Du matin jusqu’au soir, on dit qu’il est un élégant cheval d’eau. 15. Lorsqu’un Lavillois veut voyager, sa voix se mue en criardise. Pour cela même, il fait un très mauvais touriste. 16. Chaque écrit important se lit sur les lèvres d’un conjoint et les rues sont jonchées de paroles perdues. 17. Sur les murs de la ville, depuis que les livres s’y impriment, les enluminures tiennent les badauds en éveil. 18. A Laville, chaque foyer prépare son repas au même moment. Ainsi, les immenses auto-cuiseurs chuintent à l’unisson et propagent une symphonie unique de saveurs. 19. La quête de l’absolu, très répandue dans la communauté, est responsable de certains brouillards envahissants. Il est tentant de profiter de cette matière liquoreuse pour s’échapper. 20. Les boulangères aiment à préparer des petits pains aux amandes et aux noix. Les fouines s’en régalent mais les merles n’y touchent pas car ils préfèrent fureter du côté des chasseurs. 21. Au contraire des adultes, les enfants ne meurent pas. Lorsqu’ils sont malades, ils font mine de s’évanouir avant de s’endormir rapidement. Ils se réveillent en baillant et ouvrant les yeux et les mains, ils disent me revoilà. Et c’est tout. 22. Pour signifier qu’un Lavillois suspend son jugement, il accroche sur le fil à linge un vieux renard épuisé avec une pince 23. Les hommes devisent par dictons interchangeables, les femmes par aphorismes. 24. Récolter la nourriture se dit corelter l’argent et manger la nourriture se dit musarder le corps. 25.Toute personne est tenue d’avoir un secret qu’elle ne doit jamais, au grand jamais divulguer. Cette part de mystère lui confère une autonomie de pensée certaine qu’elle se doit de respecter. 26. Les Lavilliens sont malades 40 jours avant de mourir. Leur corps est porté jusqu’à l’un des canaux et installé dans une barque appelée Ventrue. Après on ne sait pas. 27. Pour aujourd’hui, la ville se nomme Esope.
Merci pour cette implacable fantaisie qui prolonge deux textes très aimés : La Vie réelle des petites Filles et les Villes invisibles.
Je ne connais pas La vie réelle des petites filles. Je vais aller y voir. Merci Emmanuelle.
Belles inventions pour un univers surprenant. J’aime beaucoup.
Merci beaucoup Martine.
Un agréable voyage, merci
merci Marion
J’aime beaucoup cet univers à la fois absurde et tendre. Il m’emporte avec le sourire aux lèvres. merci !
Oh, merci pour ton commentaire.