À l’anse Chaton, il suit un grand gaillard en tee-shirt bleu. Le gars se cache dos à la mer derrière le vieux tronc courbe d’un gigantesque palmier avec à la main son téléphone portable. Que fait-il ? Il prend un selfie avec la mer en arrière-plan, peut-être, puis il se baisse et s’assied face au paysage de vase et de rochers qui émergent.Il se cache peut-être, les plages sont interdites . Pointe Buzaré, il y a deux filles sur les roches qui avancent vers l’horizon. Il ne voit que leurs dos.Une blanche et une noire. Elles aussi font une photo, d’elles ou du paysage.Souvenir de Cayenne.Une femme promène son chien qui tire sur sa laisse, un gamin en trottinette, une mère et son fils et sa mini-moto assis sous les cocotiers. Place des amandiers, il s’assied sur un des bancs verts scellés dans la roche. Un vieil homme s’approche pour lui proposer un dépliant imprimé artisanalement de vues de la place des amandiers au fil du temps. Il y a dix ans la mangrove, les palétuviers qui poussaient dans la boue sur plus d’un kilomètre barraient l’horizon. Aujourd’hui tout a disparu, il ne reste que la mer et le ciel et ces roches grises veinées de blanc qui bordent la plage. Le centre historique de la ville est de nouveau au bord de l’océan. Le vieux explique que c’est un phénomène naturel étudié par le CNRS que cette errance des vases de l’Amazone qui parfois s’accumulent et parfois sont balayées par les flots avec toute la végétation qui poussait dessus. Il semble en être très fier et précise qu’ici il n’y a pas de sargasses qui envahissent les plages des Caraïbes, pas de séisme non plus, pas de volcan, pas d’ouragan. C’est son petit-fils qui imprime, l’argent c’est pour lui. Il achète, cinq euros, les photos viennent de Google Earth , option « affichage des images d’archives » et salue. De la rue des amandiers, il jette un œil sur l’anse de l’hôpital où les bâtiments tournent le dos à la mer, encombrée de troncs qui ressemble plus à un dépotoir et à un terrain pour tagueurs qu’à une plage fréquentable, débouche dans la rue Schœlcher puis prend la rue Guizan pour rejoindre la place des palmistes. Schœlcher, ça lui dit quelque chose, mais Guizan rien du tout. Il a lu quelque chose sur la destruction de la statue de Scholcher en Martinique et en Guyane, il faudra qu’il y passe pour voir. La place des palmistes est belle avec ses quatre rangées de fûts hauts et bas. Bien rectangulaire, comme tout ce centre-ville où les rues se coupent à angle droit. Des plus hauts stipes on ne voit pas les palmes, des plus bas on peut les toucher. Il a entendu dire que Cayenne était moins belle que Paramaribo au Surinam. C’est vrai que la préfecture du département de Guyane ressemble plus à une bourgade de campagne qu’à une capitale et que ses maisons créoles sont bien modestes. C’est sans doute ce qui le séduit, cette modestie et ce spectacle de ville tropicale où pas une façade, pas une route ne résiste aux pluies.Pour la place Schœlcher, il n’a qu’à prendre la rue Malouet puis tourner dans la rue Christophe Colomb, ensuite par la rue du vieux port en longeant le fort Cépérou il sera sur la digue du vieux port, là il trouvera du poisson . Vivaneau, atipas, acoupas, machoirans, crevettes. Place Schœlcher, il n’y a plus que le socle autrefois peint en blanc, mais bien ruiné par la pluie, un vélo appuyé contre. Il croyait que Schœlcher s’était battu contre l’esclavage, pourquoi déboulonner sa statue ? Il faudra qu’il demande. Les Guyanais n’ont pas perdu l’esprit de marronnage. Au bout de la passerelle du vieux port quelques bateaux appontés, beaucoup de vase comme partout à marée basse et des oiseaux qui fouillent la vase. Il reste un long moment, il aime cette ambiance. Poisson, puis légumes au marché plein de monde, aussi plein de monde et d’agitation que la ville est vide et paisible. Le marché vient juste de rouvrir, plus ou moins en plein air, les gens portent des masques, c’est très surveillé. Il ne le sait pas, il l’apprendra plus tard, à Cayenne ce sont les Mhongs qui fournissent la ville en maraîchage. On les appelle « fois 7″ car ils utiliseraient sept fois plus de pesticides que ne le permet la réglementation. Sinon, tout serait importé. Des Harkis d’Indochine, des montagnards laotiens, transportés par la géopolitique à la fin des années 70.Il arrive au canal Laussat qui est en travaux, curage et pose de palplanches. Les immenses panneaux d’affichage du chantier montrent un futur canal transformé en promenade arborée, bien différent de ce qu’il est encore, une sorte d’égout à ciel ouvert, un cloaque peu ragoûtant.
Ici, prochainement à Cayenne
aménagement des berges du canal Laussat
coût de l’opération 10,9 M€
Un passant s’approche pour lui dire avec emphase « Il faut faire savoir aux générations présentes, la nôtre, que ce canal a été construit, creusé, par des noirs, les “nègres de pelle”, donc des esclaves, des déportés venant d’Afrique qui ont creusé le canal à l’aide de leur pelle et de leur pioche ». À Cayenne, c’est comme si les habitants étaient tous historiens, comme si le passé était là à chaque pas et partout ce souvenir de l’esclavage. Il ajoute « Ici tous les Cayennais apprenaient à nager à l’époque où il n’y avait pas de piscine ». Tous les restaurants sont fermés, il trouve un Chinois de l’autre côté du canal qui propose des plats à emporter. Spécialités Dim Sum, ouvert le dimanche, petit déjeuner chinois. Il mange en marchant, il a faim et encore beaucoup de route jusqu’à Degrad des cannes en suivant la nationale N1 puis la N3 pour ne pas se perdre et faire un moins long trajet que par la route des plages qu’il avait prise au matin, puis la route de Montjoli et le chemin de Baduel.Il a croisé la rue Galmot qui prolonge la rue Eugène Gober, mais comme ces deux noms ne lui disent rien il ne peut goûter l’ironie de l’histoire. Il trouvera peut-être quelqu’un pour le prendre en stop, mais c’est peu probable Covid oblige. Si seulement il pouvait louer un vélo ! C’est au rond-point de la N1 et de la N3 que se trouve l’hyper U où il a fait ses courses le premier jour, il connaît le chemin et ça ne lui fera pas de mal de refaire un peu ses provisions. Il a le temps pour faire les explorations pour touristes du chemin de Montabo, du Rorotra et la visite de l’habitation Loyola; ce n’est pas ce qui l’intéresse le plus; ce qui lui plaît c’est d’avoir maintenant une vision d’ensemble. Il a la carte dans la tête. Il se sent mieux, plus du tout en pays étranger. Comme en mer, il a fait le point et au moins trente kilomètres à pied, ça conserve.