Vroum vroum le bruit des voitures, de plus en plus vrouvroutants ces bruits de voiture lancinants, si lancinants d’une petite rue dans un village, dans une périphérie, pas vraiment au centre du monde, mais on s’y croirait presque. Il n’y a plus rien d’autre, dans cette rue, que le bruit des voitures pour attester d’une vie humaine. Ce bruit des voitures qui recouvre le chant des oiseaux, de ces petits oiseaux qui ne migrent même plus tant la chaleur est ténue. Et ça pépie, ça pépie, ça fait pi pi au milieu des voitures, en plein dans le mille d’une lune descendante. Et ça sent le gasoil, ça sent le fuel et pas l’odeur de l’herbe ou du foin fraichement coupé. Et ça circule, oui ça circule et ça ne recule jamais. Ah oui des fois on entend bien le bruit des bip de recule, d’une voiture qui recule pour simplement se garer. Et les voitures vont vite, ça sent le bruit des chaînes de roulement et de transmission qui s’invitent dans le salon, dans la cuisine, enfin partout dans la maison où tout vibre. Tout vibre au son de ces véhicules qui passent tous les jours, à toutes les heures, sauf la nuit, de manière incessante. Il n’y avait jamais eu autant de véhicules dans cette artère que maintenant. Elle ne se souvenait pas qu’on entendait aussi bien et aussi souvent les véhicules entrer dans sa cuisine, enfin leur bruit qui ne froufroute pas, comme le taffetas d’une robe, mais qui vrouvroute comme le gros tas de ferraille qui s’assoit sur son séant. Quel drôle de séant, cet océan de ferraille qui roule partout, en droite ligne, sur tous les chemins d’une vie qui ne se reconnaît pas dans cette société qui craint de ne pas suivre la marche du monde, la marche d’un monde qui freine et qui recule, qui revient en arrière pour une fuite en avant de la misère. De la misère du monde qui n’en a que faire de poursuivre son chemin dans ces vieux tacots mis à sa disposition. Non, à cette misère et à cette chaîne de transmission, il lui faut de l’oxygène et de l’hydrogène pour sentir à pleins poumons que rien d’autre que le bruit des voitures ne peut la gêner autant. C’est dur car elle en a une, de voiture. Mais elle fait attention à ne pas s’en servir à tort et à travers. Elle la sort quand elle en a besoin. Point trop n’en faut, comme on dit, et pas à tort et à travers sur tous les chemins d’un globe sur lequel on ne peut plus rien tracer tellement tout est déjà tracé, tout pisté avec cette odeur de frites qui empeste dans cette cuisine où ne mange rien de bon. Les frites, ça s’effrite et ça crépite dans cette cuisine qui ne peut rien accueillir d’autre que le bruit de l’ordinateur et du ventilateur de l’ordinateur pour bien s’épanouir. Juste le bruit du ventilateur de l’ordinateur pour signifier qu’on est encore en vie, qu’on est encore bien vivant à écrire des billes visées sur les bruits de la rue qui passent dans la nature. Qui passent dans sa nature qui ne peut plus se passer du hennissement des chevaux et du braiment de l’âne, du meuglement de la vache et du bêlement des moutons. Et les poules qui caquètent, les coqs qui chantent et les chats qui feulent. Car oui, les chats feulent la nuit pour ne pas se laisser prendre comme des souris que l’on trie dans les laboratoires. Les chats feulent la nuit, et c’est ici qu’elle fait son nid, dans ce lit de stupidités et de facondes, là où tout se transmet sans rien retenir de ce qu’elle écrit. Mais après tout elle vit, et elle est en vie avec ces drôles de cabosse dans sa bicoque et dans sa caboche qui n’en finit pas d’inscrire des choses dans sa pensée. Des choses qui se gravent dans son cerveau et sa mémoire. Car oui, elle a une mémoire, c’est un cerveau, un pur cerveau, et un esprit, un pur esprit.