La chaise racle le sol dans un bruit désagréable de fer rayant du carrelage qu’on aurait souhaité plus doux et quand on s’assied il y a un discret souffle de l’air qui s’échappe du rembourrage de l’assise. On sort un livre quand nous interrompt un jet de vapeur suivi par le glougloutement du lait qui chauffe dans un pot de fer. Les soucoupes valsent à coté des tasses dans un cliquètement de vaisselle entrechoquée. Son mat du porte filtre tapé contre le bois de la boite, toujours en deux coups pour le vider, suivi de la tirette qui remplit la dose. Des voix fortes sur la droite, une conversation animée qu’on peut presque suivre, deux trois basses et une aigrelette. Sur la gauche le glissement des bas sur les cuisses quand elle décroise et recroise ses jambes. La main qui caresse le dos dans un bruissement d’étoffes. La porte s’ouvre, les voitures s’engouffrent dans la salle avec les freins qui couinent ou les accélérateurs énervés, et aussitôt elles repartent, toujours en file dès que la porte est refermée. « Deux cafés, deux », la voix du serveur, nette et précise, de commandes en commandes. Le bruit métallique des pièces posées sur le comptoir à l’ancienne, en zinc, les billets s’effeuillent dans la poche ad hoc. Le chuintement de la tireuse. « Et pour la d’moiselle ce sera quoi ? »
Allongé sur un rocher, il calque sa respiration au sac et ressac de l’océan. Il souffle quand la vague se fracasse contre son refuge et inspire quand l’eau se retire dans un bruit d’aspiration avec un élan pour prendre des forces et taper plus fort. Des goélands et des mouettes raillent et leurs cris sont assourdissants, pointus, agressifs. Sur le remblai, en hauteur derrière lui, des passants, fascinés par le spectacle, s’exclament sur la force de l’eau. Un enfant hurle, sûrement effrayé. Les adultes qui l’entourent essaient de le rassurer mais finissent par s’éloigner, probablement à regret, et le hurlement qui n’a toujours pas cessé diminue petit à petit. Un passage incessant de voitures croît dans son oreille droite et s’atténue dans la gauche comme un ruban de son qui lui traverserait le crâne. Heureusement le remblai n’a qu’un seul sens de circulation. Il imagine des collusions à l’intérieur de sa tête puis lâche le ruban et se concentre sur les flots.
L’appartement est silencieux. Enfin c’est ce qu’elle croit au moment où elle s’écroule dans son fauteuil préféré qui lui murmure « bienvenue » à sa façon de souffler en recevant son poids. Elle est attentive aux bruits de la rue qui s’immiscent, atténués dans son intérieur. Elle attend une moto. Elle connait bien le son du moteur. Elle attend une moto qui ralentirait pour finir par stopper en bas de chez elle. Elle entendrait la lourde chaine retirée de l’assise et enroulée autour de la roue avant. Puis il y aurait la lourde porte cochère qui se fermerait avec un son définitif juste après le déclic très fin de l’ouverture automatique. Et puis il pourrait y avoir l’ascenseur appelé descendant du dernier étage. En tous cas il monterait vers elle avec les poulies qui grincent, c’est un vieux modèle, la cabine qui s’arrête avec le sursaut, le grillage en fer qu’on replie pour sortir. Et enfin la sonnette ou les petits coups frappés selon l’humeur. Aucune moto ne s’arrête ce soir, comme hier, comme depuis tant de jours. Et là l’ascenseur descend puis remonte et passe son étage avec le clic du passage de chaque étage. La nuit est tombée, sans bruit, alors elle s’étonne de voir l’heure quand elle sort de son attente. Elle se lève et va se servir un verre.