Arrivée en avance devant la salle encore fermée, l’accélération des moteurs enfle après le freinage devant la grille d’entrée jusqu’au parking, les voitures se rejoignent les unes après les autres, crissement du sable sous les pneus avant l’arrêt, la musique qui s’échappait des habitacles est coupée en même temps que le moteur, claquements des portières et des bises, clameurs joyeuses des voix qui s’interpellent, bruissement du plaisir de se retrouver, tintement pour deux coups des cloches de l’église, c’est la demie, cliquettement de la clé dans la serrure du préfabriqué, coup d’épaule pour aider l’ouverture, frottement sur le sol de la porte qui résiste puis s’ouvre d’un coup avec fracas contre le mur.
A l’entrée dans la pièce, le plancher mal ajusté du bâtiment, provisoire depuis si longtemps, craque sous nos pas. Tout de suite ouvrir les fenêtres aux joints collés, aérer, chasser la chaleur accumulée de l’été, l’odeur des répétitions passées. La glacière est déposée sur le sol, les bouteilles de bière s’entrechoquent à l’intérieur, signature cristalline du lieu et du moment, je déteste la bière mais j’aime ce son. Raclements des chaises déplacées, brouhaha des conversations, bruits des instruments tirés des étuis, percées de notes brisées, montées et descentes de gammes pour les premiers installés, timbres multiples des voix qui s’entrelacent et se superposent, murmures chuchotés des confidences, éclats des rires, saluts à la cantonade des retardataires, souffle court sous le poids de l’ampli trop lourd lâché un peu brutalement, choc amorti par la moquette tachée, soupir de soulagement, zip de la fermeture éclair pour retirer la housse de la contrebasse, grincement de la vis pour régler la hauteur de la pique.
Enfin libérés les battements sourds de grosse caisse résonnent, le glissement circulaire et métallique des balais sur la caisse claire distille un rythme, une boucle, leitmotiv rejoint par les accords du piano et le walking de la contrebasse, les phrases veloutées d’un saxophone s’invitent, un trombone ou deux cherchent la tonalité, un swing déjà là imperturbable et indifférent à la mise en place du reste de l’orchestre, aux sonorités brillantes des trompettes, aux modulations de la flûte, aux discussions qui tentent de se poursuivre, montée crescendo d’une nappe sonore compacte comme un nuage de fumée qui emplit la pièce mal insonorisée, familière et rassurante cacophonie grandissante au sein de laquelle chacun se prépare. La voix du chef, on va y aller, la voix plus forte, on y va, le tumulte ambiant diminue à peine, presque un cri, s’il vous plaît on y va, un sifflement avec deux doigts dans la bouche, rumeurs résiduelles jusqu’au silence imparfait, à travers les murs légers parvient au loin la musique du cours de danse d’un autre bâtiment, vibration ondulante du sib qui se cherche jusqu’à se trouver comme une communion préparatoire, chaque pupitre à son tour. On y va.
Et bah c’est bien c’est chouette, comme chez Laurette