C’est fou comme cela se salit vite. Comment ça ? Et bien regarde autour de toi. Tu vois la poussière, là et encore là. Je balaie des heures durant et rien n’y fait. Élise lève la tête, dirige son regard vers les zones sommairement indiquées par la pointe du menton de Zoé. Son regard croise le verre sur la table et la bouteille d’eau à côté. J’ai soif. Non, je ne vois pas bien. Tu es au courant pour Anna ? Mais si, regarde, là, sous la chaise, cette légère pellicule. Ah oui, peut-être, Ô champs magnétiques protecteurs ; Protégez-nous des poussières célestes… C’est mauvais. Élise grimace et dit : Anna est sortie de l’hôpital hier, elle n’a pas bonne mine. Zoé suspend son geste, semble considérer cette information. Machinalement, elle se frotte la joue. C’est quand même fou comme cela se salit vite. Cette maison pleut la poussière. Sais-tu que nous perdons chaque jour des poils, des particules de peau qui se mélangent aux moisissures et autres joyeusetés ? Élise observe Zoé du coin de l’œil. Ses cheveux sont tirés sur le haut du crâne et maintenu par un élastique. C’est si serré que les coins des yeux remontent aussi. Derrière elle, la lumière entre, abondante, par la baie vitrée, découpant net son corps légèrement vouté. … car tu es poussière, et tu retourneras dans la poussière... C’est mieux. Je peux te prendre un verre ? Oui, là dans le tiroir du haut. Élise se redresse et se dirige vers le meuble gris souris intégré sous le plan de travail. Attention au petit tas. Elle va marcher dedans, cinq contre un. Elle le contourne puis prend un verre. L’opération a duré quatre heures. Selon le chirurgien l’opération est un succès. Une fois la plaie cicatrisée, l’implant pourra être programmé. Élise se verse de l’eau, le goulot tinte contre le verre. Je ne comprends pas pourquoi elle a accepté. Tu as marché dedans. Élise baisse les yeux : mince j’avais oublié, excuse-moi. Attends, je vais tapoter tes pieds, je n’ai pas envie de repasser partout. Élise, résignée, lève le pied droit puis le pied gauche pendant que Zoé applique des petits coups dessus avec le bas du manche. C’est Marc qui a insisté pour qu’elle intègre ce protocole expérimental. Il était las de la surveiller, de devoir la chercher dans le quartier un jour sur deux… Tu m’écoutes ? Un silence, qui se prolonge, un peu. Oui, oui, mais je ne retrouve pas la pelle. Là, au pied de la table. Tu ne t’arrêtes donc jamais ? Zoé continue son étrange ballet. M’arrêter ? Je n’ai pas envie de m’arrêter. Comment pourrais-tu comprendre, toi l’idéaliste, que cette mise en ordre borne le chaos du monde. Il pourra la géo-localiser. Tu te rends compte ? Un petit point lumineux sur une carte. Zoé dit : Je ne sais pas, c’est pratique, non ? Mais enfin tu connais Marc, il a toujours été après elle, c’est pratique pour lui mais Anna, elle a parfois toute sa tête, et dans ces cas là…. Écoute, aujourd’hui c’est différent tout de même. Le diagnostic a été confirmé à plusieurs reprises. Oui, je sais, je sais. Mais tout de même, elle va être pilotée par des ondes radio. Tu exagères toujours. Élise se crispe légèrement, la position de son corps se modifie très légèrement, défensive, animale, une petite incisive se découvre et mordille la lèvre inférieure. Que veux-tu dire par toujours ? Je ne veux rien dire, c’est une expression, je n’y ai pas réfléchi. Elle ne va pas être pilotée, c’est tout. Élise, accoudée sur le comptoir de la cuisine, caresse son bras gauche endolori. Vois-tu, ce qui sera piloté c’est son traitement, et non de l’extérieur, mais de l’intérieur grâce à des pilules électroniques. Ne plus penser à rien, prise en charge intégrale du réel, la fin de la vulnérabilité humaine tu devrais y être sensible, non ? Réduire la souffrance, sûrement… tu as oublié un petit tas, là… mais Anna était si libre, cela arrange Marc. C’est ça, pour lui, fin de l’angoisse. Élise pose un regard désabusée sur Zoé qui, dans un lent corps à corps, tourne toujours avec son balai. Tu veux boire. Non, merci, ça va. Quand même, on n’en a jamais fini avec cette poussière.
Un univers à la Philippe K Dick, le délirant, le technologique et le familier…
Étonnant, je ne l’avais pas en tête au moment de, mais c’est un auteur qui m’est très cher. Merci Marion