Il faisait chaud, j’allais ouvrir la fenêtre de la chambre où je venais de faire une sieste, «un petit somme» comme disait ma grand-mère. Cette expression faite de ce mot un peu désuet et de cet adjectif affectueux, cette expression «un p’tit somme», ressemblait à ma grand-mère, dans ce qu’elle trimbalait de légèreté, de mine de rien, de pas de souci. Tu te souviens-toi de cette expression que Mémé employait? Mais enfin, tu sais bien que je ne l’ai pas connue ta grand-mère. Et là, je m’arrête net, ma tête se tourne du côté de mon épaule gauche, mon regard est incliné vers le sol et je reste là, de dos, immobile, perdue dans le passé, dans mes pensées, dans ma mémoire. Puis je me retourne lentement vers lui: Ah oui c’est vrai, je t’ai rencontré juste après sa mort, après son entrée dans «le grand somme», en somme. Tu souris, tu ris, tu répètes dans le grand somme en somme et tu ajoutes, ah oui ça sonne!
Va savoir pourquoi à ce moment là, alors que tout était fini entre nous, que nous venions de divorcer, que nous étions justement en train de déménager, de nous répartir nos affaires, j’ai eu envie de te dire, tu sais je t’aime, je n’arrive pas à te le dire ou je ne veux pas te le dire mais je sais que je t’aime parce que je le crie dans mes rêves. Et là, toujours à la même place, figée, je tripote ma clavicule, je la serre entre mes doigts, je m’accroche à elle. Ce geste familier me recentre, m’aligne, il me donne du courage, je sais que je t’aime, je n’arrive pas à te le dire ou je ne veux pas te le dire mais je sais que je t’aime, je le crie dans mes rêves, dans mes rêves, dans mes rêves, dans mes rêves, dans mon cauchemar.
Bon alors, la penderie tu la prends? Tu en auras besoin, pour tes pulls, tes pantalons, tes robes, les draps, les serviettes, tu peux même y stoker ta valise en haut et tes chaussures en bas, c’est pratique, hein? Ah non! les draps je n’en veux pas, tout beaux qu’ils soient, je n’en veux pas! Ok d’accord, pas de souci, je les prends. Je suis étonnée de la facilité avec laquelle il s’empare de nos draps et les range dans un sac Tati acheté pour l’occasion. Et je l’imagine une fois chez lui, là-bas, en Australie, les ranger bien pliés, dans une housse sous vide jusqu’à ce qu’il en ait besoin pour le lit d’un.e ami.e ou même le sien.
A la fin de la semaine nous sommes contents du travail abattu, du rangement effectué, du tri équilibré, de la somme partagée. Prêts pour de nouvelles aventures, la vie devant nous. Au moment de nous quitter, le sourire aux lèvres, nous nous embrassons chaleureusement, amicalement, fraternellement. Et dans le plus grand silence, en mon for intérieur, je hurle: quand je mourrai, j’espère que tu seras à côté de moi, que tu me tiendras la main, alors je n’aurai pas peur, je serai confiante, je partirai le cœur léger, remplie de joie, d’amour, de toi.
Bon ben voilà on y est, prends soin de toi. Oui, prends soin de toi. Et nous partons chacun dans notre direction. Le ciel est au dessus de nos têtes, le sol est sous nos pieds. Tout va bien.
Comme c’est beau Cécile – J’ai presqu’envie de pleurer de cette scène de rupture où il y a tant d’amour – Ce déchirement en soi, avec l’autre, pour l’autre – Et ce lien avec la grand mère, le sommeil et les rêves. C’est tellement vrai ces sentiments qui nous traversent en même temps. Bravo.
Merci Clarence merci
Hâte de savoir comme ton elle et lui vont se débrouiller, eux!
Oui c’est très réaliste, même si cette expression ne veut rien dire. On se demande comment tu as fait le choix du temps utilisé, on imagine cette scène en fait au présent, un peu comme dans l’exercice P8 Juliet pour que tout soit encore plus brut et indistinct à la fois, et on voit pourtant que tu as fait le choix parfois du passé.
Par chez nous, un p’tit somme c’est une expression familière pour parler d’une petit sieste.