Il avance devant elle sur le sentier, passe les barbelés et s’arrête dans le champ traversé par un ruisselet. Il laisse aller sa tête à droite et à gauche : Il faudrait que je revienne au printemps. Au printemps. Voir quand le vent fait onduler les hautes herbes, dit-il le bras qui balaye l’horizon. Je croyais que tu n’aimais pas la poésie. Ce n’est pas de la poésie, c’est de la biologie. Mais qu’on l’appelle l’un ou l’autre il reste la beauté, c’est la beauté que tu veux voir. Non le mouvement, la régularité, l’onde que l’on peut mettre en équation, selon l’orientation et la vitesse du vent. Elle regarde ses pieds un instant. Tu vois des chiffres où j’entends des mots, mais il n’y a dans les deux cas que des tiges qui dansent dans l’œil. Il faudrait venir quand la lumière plonge par un soir d’orage. Ne met pas les pieds dans l’eau, il reste du chemin. Elle ramasse une plume blanche, presque transparente, se la passe sur le visage. Sais-tu que les martinets dorment en volant. Ils s’élèvent à plusieurs kilomètres dans l’atmosphère, et dorment là-haut au milieu des nuages. En volant. Qu’est-ce que tu fais de ces plumes. Je les garde dans des boîtes, sur mes étagères, je ne sais pas. Je les vois, je les prends, je ne peux pas les laisser là par terre. Elle range la plume dans son sac, en prenant soin de ne pas l’abîmer. Elle attrape ses cheveux dans une main et les enroulent sur eux-mêmes, puis les rejette dans le dos. Ils poursuivent sur le chemin un moment. Seul le bruit des herbes dérangées. La nuit, il ne faut pas que j’y pense, dit-il. Il ne faut pas que j’y pense, si je commence alors je ne peux plus dormir, je vois les étoiles, l’une et puis l’autre et l’autre encore et ça n’a pas de fin l’univers. Des petits points qui défilent, c’est un peu comme des moutons ou une veilleuse pour enfant, ça me bercerait. Il me faut la réponse et personne ne l’a. Je cherche, ça m’empêche de dormir. Tu crois en Dieu. Non non, je crois en les bactéries. Les bactéries, ce sont les organismes vivants les plus puissants de la planète. J’aime les regarder au microscope. Ils me font sentir ridicule alors que tout le monde me croit comme une montagne. Ce doit être dur d’être une montagne tout le temps. Il renifle bruyamment, le nez retroussé. Ça va toujours. Et sinon tu penses à quoi pour dormir. A des moteurs. je démonte et je remonte des moteurs.
Bien aimé ce texte, j’y ai trouvé du silence dans cet échange qui permet que se déploient deux personnalités bien distinctes. Merci
Une lecture très agréable, étonnamment votre texte restitue une fluidité des échanges et pourtant deux façons si différentes d’aborder le monde, c’est réussi.