Elle passe par l’entrée principale, se dirige sans hésiter au milieu des pins, tourne à droite dans la première allée après les perpétuelles, vire encore à gauche un peu plus loin et s’arrête enfin. Elle pose son sac à terre, remonte un peu ses cheveux. Il fait une chaleur aujourd’hui que tu n’imagines pas démarre-t-elle. Tu t’en fous toi tu es au frais. Bon tu ne vas pas en croire tes oreilles. Ecoute bien.
Je ne fais que ça.
Elle est venue diner hier soir. Elle n’était pas dans une forme éblouissante mais on a commencé par parler de choses et d’autres autour d’un verre. J’avais mis au frais une bouteille de prosecco. Et puis je ne sais plus comment, la discussion a dérapé. Elle a fini par me dire, et tu es concerné toi aussi, que nous l’avions toujours passée au second plan. Toi après ta mère et moi après ma fille. Et bien tu me croiras si tu veux mais là je n’ai pas pu garder mon calme. Non mais quand même, elle exagère. Elle sort de son sac un petit pliant et s’assied dessus. Elle ajuste aussi une casquette pour se protéger du soleil, il n’y a pas beaucoup d’ombre dans cette allée. Tu ne dis rien. Non pour l’instant j’écoute, qu’est-ce que tu lui as répondu ? Je lui ai dit que c’était dégueulasse, excuse-moi du terme, de dire ça et que c’était trop injuste. J’étais dans une colère noire. Je voulais qu’elle parte, mais là j’ai fait ma petite joueuse. T’es pas d’accord avec moi qu’elle pousse le bouchon un peu loin quelque fois. Dis, tu en penses quoi toi. Je ne sais pas trop. Ah je vois on prend ses distances. C’est facile pour toi. Ne dis pas ça. Et bien si je le dis. Toi tu passes tes journées à dormir, au frais, pendant que moi je gère. Elle se redresse, lève un peu le bord de la casquette pour mieux voir, il n’y a pas grand monde. Tant mieux, elle préfère être seule pour ce genre de conversation. A part ça rien de particulier, je me bats avec les propositions dans l’atelier d’écriture que je suis, je t’en avais parlé, non. Si, si je me souviens. Et ça te plait. Oui mais par moment je rame. Elle prend son sac sur ses genoux, en sort une canette de bière qu’elle dépose devant elle et une bouteille d’eau. Allez santé, à la tienne. Elle boit au goulot, se relève, replie son siège. A la semaine prochaine, comme d’habitude, tu seras là. Ne t’inquiète pas je ne risque pas de bouger. Elle repart, seule, dans les allées nappées de chaleur, son sac en bandoulière et sort du cimetière, toujours par l’entrée principale.
Voilà une visite au cimetière plutôt rafraîchissante… Humour de situation, ton décalé et mise en abyme du travail en atelier, trois ingrédients qui nous donnent aussi envie de revenir la semaine prochaine. Et promis, moi aussi, j’apporterai mon petit pliant !
Merci Zoé pour votre commentaire, le pliant et à boire !
encore une confirmation de la règle parfaitement connue (et donc, vérifiée, une fois de plus) : « la bière mène à la bière ». Merci à vous.
Merci Piero, je ne la connaissais pas cette règle mais ça m’a fait bien rire.