Ils se trouvent tous deux derrière la porte verte à la peinture écaillée juste devant la petite maison. Il la regarde, à peine, il est mal à l’aise. Non, pas mal à l’aise mais fébrile. Il n’ose pas la regarder, il est troublé. Troublé par elle, il n’ose pas, pas dans les yeux. Peut-être même a t’il envie de l’embrasser, là au milieu de son jardin potager, entre les carottes et les poireaux, les mauvaises herbes pas arrachées car il ne termine jamais ce qu’il a commencé, ce qu’il vient de lui avouer. Montre moi s’il te plait. Oui. Il marche devant elle. Là, ce sont les carottes, quelques pommes de terre, j’ai oublié de mettre des radis. Moi aussi, j’ai un jardin potager depuis longtemps avec mon compagnon. Ah oui ? Son compagnon, elle a dit son compagnon. Douleur ressenti en lui, brusquement. Elle a dit son compagnon et il aimerait ne pas avoir entendu ces mots. Bien sûr qu’il est au courant, elle lui en a parlé dès qu’ils se sont rencontrés. Elle ne s’en est jamais cachée. Mais quand même, chez lui, dans son jardin, dans sa maison, devant lui, elle en parle, encore. Et pourtant elle est là, elle est venue et mets ses pas dans les siens. Ah oui ? et depuis longtemps ? Quoi, le jardin ? Euh… oui. 15 ans, mais ça ne m’intéresse pas tellement, je ne m’y attelle pas véritablement, c’est comme ça, j’aime l’ambiance des jardins collectifs, les gens, mais je m’en fous un peu des légumes. Ah ? Il ne rajoute rien, laisse le silence faire, cherche quelque chose pour continuer. Les salades, j’en cueille une par jour, d’ailleurs, j’en ai pris une pour le déjeuner. Super, j’adore la salade. Il continue à marcher, menace de trébucher sur la racine d’un arbre, un pommier, planté là au milieu. ça va ? oui. Sa voix s’étrangle un peu, elle, doucement, sourit. Il l’attendrit. Sa façon de la regarder de façon furtive, son tâtonnement dans les mots, les gestes, ce dialogue qui se cherche. Est ce que je parle ou est ce que je le laisse dire ? Elle aussi, ne sait pas trop, se raccroche à ce qu’elle voit, tente un sujet puis un autre. La chèvre, du bout du jardin les regarde en mâchonnant de l’herbe. Elle s’arrête devant celle-ci, mais ne la caresse pas, ne pose pas de questions, elle n’y connait rien en chèvre non plus, à part son fromage qu’elle adore sur du pain bien toasté pour que ça fonde. Et ça fait longtemps que tu jardines ? Oui mais pas vraiment, je laisse pousser comme ça puis j’oublie, j’y reviens, c’est mon coin de potager dans mon jardin, c’est bien. Ah, tiens, je vois que tu recueilles l’eau de pluie. Oui. Putain c’est banal ce que je viens de dire quand même, tu recueilles l’eau de pluie…je ne sais pas, continue, trouve mieux, parle d’écologie, d’environnement, je ne sais pas. Mais rien ne lui vient, elle a pas envie, il recueille l’eau de pluie, c’est tout. Elle aussi, elle bute. Mon fils est là. Ah oui, il a quel âge ? 19 ans. Il va déjeuner avec nous ? Oui. Tu lui as parlé de moi ? Pas vraiment, il sait que tu es là. D’accord, et ça ne le dérange pas ? Non. Ah ok…oh, tu as des poules ? Oui et je mange leurs oeufs. Oui, moi aussi je mange les oeufs des gens qui me logent dans le gîte. Ah…Silence encore. Ils ont déjà fait trois fois le tour du jardin potager qui ne doit pas faire plus de 50 m2 mais ils n’osent pas entrer dans la maison, pas tout de suite. Elle voit qu’il est pieds nus et elle se dit qu’il lui faudra peut-être enlever ses chaussures, elle aussi, avant d’entrer. Elle ne sait pas trop. Il y a sa chienne à lui, allongée, sur l’herbe, dans un coin, qui les surveille d’un oeil ouvert et l’autre fermé. Elle est belle. Oui. C’est ma fille. Ta fille mais ce n’est pas une fille. Non, je sais, mais c’est ma fille. Elle se tait. Bon, il faut que je la fasses rentrer quand même, on ne va pas rester dans mon jardin toute la journée, mais quand, comment. Est ce que je lui offre à boire tout de suite ou on s’installe à table directement pour manger ? Et j’espère qu’elle va aimer ce que j’ai fait, du poisson. J’espère qu’elle aime le poisson – Tu aimes le poisson ? Je n’en mange pas. Ah bon ? Le tremblement de sa voix la fait réagir. Mais j’aime ça, ne t’inquiète pas. Je n’en cuisine pas, mais quand on m’en propose, j’en mange. Il ne dit plus rien. Ne t’inquiète pas, c’est super, je suis ravie de déjeuner avec toi et ton fils et de manger du poisson. Elle aimerait lui prendre la main, comme pour le rassurer mais ne le fait pas. Lui prendre la main, c’est déjà le toucher, une promesse, quelque chose qu’elle sait, qu’elle ne peut se permettre. L’a t’il senti ? Il s’est arrêté, non loin d’elle et la fixe. A son tour à elle de détourner le regard…On va rentrer chez moi. Oui, tu vas me présenter ton fils comme ça. Oui. Et on va manger. Oui, du poisson. Elle rit, oui du poisson avec de la salade verte de ton jardin. Lui aussi, se met à rire. Il fait un pas en direction de la maison, elle le suit, accompagnés de leurs rires.
Elle et Lui sont touchants et l’hésitation de la langue, ce qui se dit ce qui ne se dit pas ce qui se dit par les gestes ce qui se dit par les non gestes il y a tout ça dans votre texte
Merci beaucoup Cécile, j’ai pris beaucoup de plaisir à écrire ce moment – Et le fait de devoir décrire au-delà du dialogue m’a ouvert d’autres pistes. Mais c’est une histoire à suivre.
Bien à vous,
Oui, comme Cécile, ils me touchent, elle et lui, et j’ai envie de savoir s’ils vont se toucher, se dire ce qu’ils ne se disent pas. Très beau, Clarence.
Bonjour Isabelle,
Merci de tout coeur pour votre regard. Oui, je vais voir, ils deviennent les personnages de mon PDF – A vite pour vous lire également. Bonne journée.
Un très bel échange, frais et désirable… on aimerait manger avec eux. Tendre et subtil, merci Clarence pour cette bouffée d’être frais. Ces mots dits, tus en soi, presque une consolation, le doux lien fragile du duo
j’aime qu’ils soient dans un potager là où ça germe