Sur la route à l’ouest du Vercors, avant d’arriver à L’Albanc. En voyageant autour, cette route faite si souvent entre Chasselay et Saint-Marcellin pendant quelques kilomètres, le long du Vercors ouest, ce n’est que falaises, crètes, gorges vues au loin, que l’on voit très bien, mais toujours y plane une angoisse sous-jacente depuis longtemps. Il est impressionnant ce massif appelé parfois plateau mais aussi forteresse. Ce n’est pas un tableau champêtre avec tracteurs et menuiseries, que l’on voit, certes, mais sans y prêter d’attention. Quand on arrive à la faille de Malleval en été, on ne voit qu’elle et les couleurs violettes qui l’entourent. La brume est encore là, dès le matin On ne voit plus ni la route ni la vallée si verte et les noyers très nombreux, Le regard s’arrête sur cette trouée au petit matin, large échancrure verticale de la montagne, loin pourtant mais telleme attendue, elle attire le regard qui essaye de la retenir encore un peu, puis elle disparaît au tournant. Non, elle ne disparaît pas tellement elle s’imprègne.
Il n’y a pas si longtemps, le trajet, le soir déjà venu, quand le soleil est juste à peine au-dessus de l’horizon assez haut. Il est vingt heure trente. Un festival de lumières si douces, il faut ralentir pour regarder plus longtemps. La montagne rose et dorée contraste avec les prés presque déjà noirs. C’est obligé de la voir tant elle est reposante et présente cette montagne qu’on nomme souvent plateau, pourtant à un peu plus de 2000 mètres. À côté de la route on n’aperçoit plus les maisons ni les noyers, rien pour distraire le regard, attirance absolue de cette faille visible encore un peu. Le petit joueur de flûte de Hamelin les a entraînés dans cette encoche les enfants, mais ce n’était pas un petit joueur de pipeau ni ne sont des enfants ceux qui les ont poursuivis. L’histoire est dans toutes les mémoires et jamais ne s’efface. La fissure est bien visible dans le versant, bien ouverte où les yeux se perdent dans le Vercors côté Isère, juste cette échancrure qui fait frissonner.
Et en hiver aussi cette route est majestueuse. On ne voit presque plus la fissure, la neige recouvre la noirceur de la faille et on a une impression de planeur, oui le regard plane comme en apesanteur, rien ne distingue plus le pré du versant du massif. Dans les limites du pare-brise, elle ne bougera pas cette image, elle n’a jamais bougé, éternellement là. La neige est moins abondante qu’autrefois, mais quand même, à ces hauteurs, elle reste longtemps. On ne le voit pas de si loin, mais facilement on imagine le marcheur parti avec ses skis il traversera le massif en quatre jours , marchera jusqu’à la nuit, il ouvrira sa tente si légère qui pourtant le protègera jusqu’au matin. Certains s’y sont perdus, d’autres y sont morts. La bise venue du nord, ce vent froid qui glace, s’est levée, mais ne perturbe pas du tout la montagne immobile. Toujours les mêmes prés les mêmes arbres et le même cadre du pare-brise
Une nuit très claire s’est installée déjà lorsque la voiture arrive et ralentit entre Chasselay et Saint-Marcellin. La route est sombre et le pare-brise ne laisse pas voir grand chose, mais la lune est là. Il n’y a plus de distance ni de profondeur, cette lumière venue d’en-haut met tout à plat. Plus de couleurs, fondues dans cette lueur blanche de la nuit, mystère de ce moment sans aucun bruit, « East of the sun and west of the moon » la ballade jazz de Brooks Bowman parle si bien de cette lumière et du silence de la nuit:
« There is music that rescues us all,
and light into which we all fade.
Life is its own metaphor. Silence speaks for itself. » Chantée et accompagnée au piano par Diana Krall la ballade donne exactement les impressions et sentiments de cette nuit sur le Vercors.
Il pleut depuis plusieurs jours, mais rien n’empêchera de retrouver cette partie de montagne à travers le pare-brise d’une voiture. cette vision , juste à cet endroit précis, la faille de Malleval. Elle en paraît encore plus triste. On est dans les années 1942 à 1944. Ou on l’imagine? Les allemands sont entrés, ont massacré presque tous les maquisards et presque tous les habitants, de là vient cette frayeur que la faille inspire. Depuis ces jours-là, nul n’ignore. Il y avait dans ces avions et ces armes promises et jamais arrivées à temps une tristesse insondable et une horreur impossible. Le pare-brise est noyé sous des cataractes d’eau et enfle cette perception de la tragédie qui est toujours là, en suspens dans cette faille. Il y avait dans cette montagne fissurée depuis presque toujours, une telle horreur qui imprégnait le paysage entier et qui jamais ne pourrait disparaître.
Je suis impressionnée et je ne sais par quel bout prendre cette #P7, mais toi oui. J’aurais bien aimé un codicille…
merci Emmanuelle. Ce commentaire m’a fait du bien, me redonne du peps ! merci beaucoup. (c’est vrai, j’oublie les codicilles, il faut que j’y pense.) je suis en train de caler complètement sur la #L7, j’ai écouté et re écouté François,, travaillé longtemps, et je n’arrive pas à la formuler. je coince méchamment. J’ai lu les tiennes, mais pas les dernières, je vais te relire depuis le début, j’ai parcouru ta #L7, il me semble que tu vas me donner les clés, je comprends mieux. Il me faut du temps pour en lire plus, jacques de Turenne, Roselyne Cazanave aussi ( Elle anime un atelier d’écriture depuis longtemps là où j’habite, une fois par mois, c’est ainsi que j’ai eu l’idée de m’inscrire chez François). Allez j’y vais, et vais essayer d’écrire d’abord les 8. ta L8 me fait bien envie. Je te remercie beaucoup.
J’aime beaucoup ce texte. Il a une rugosité magnifique, il est dérangeant . Vraiment fort. Merci de ne pas oublier l’atelier où nous nous sommes rencontrées.
Merci beaucoup de tes retours, Roselyne. Et bonne nuit.
j’aime beaucoup cette façon de faire participer le lecteur à ce mouvement d’attraction/répulsion combinés, de la beauté et de l’horreur,( avec ce que ce mouvement induit de fascination et de crainte.) Je me suis demandé comment le texte colportait cet effet et bien sûr je n’ai pas « l’explication » ce serait un processus général de la mise en mots mais … une phrase m’a arrêté, pourtant d’apparence anodine : « Une nuit très claire s’est installée déjà lorsque la voiture arrive et ralentit entre Chasselay et Saint-Marcellin. » que j’associe à – mais il faut remonter plus haut : « Il n’y a pas si longtemps, le trajet, le soir déjà venu, quand le soleil est juste à peine au-dessus de l’horizon assez haut. » Il y a pour moi une imprécision fabuleuse dans l’éviction du ou des personnages, c’est la voiture/le trajet etc… une dissolution du moi – personnage/narrateur face à ce qu’est et recèle le paysage… Lecteur du coup par instants je suis en prise directe avec ce qui est dépeint… Témoin sidéré aussi, sans intermédiaire… C’est peut être pas très clair ce que j’essaie d’expliquer mais j’aurais un peu tenté de tourner autour de cette sensation étrange qui enveloppe la révélation de l’horreur contenue dans le paysage. Finalement j’en regrette presque la « précision » du rappel historique.
Si, c’est très clair, Jacques. Et je vous remercie beaucoup, je sais bien comme vous écrivez ! votre retour me touche. J’apprend beaucoup en fait, tourner autour de la sensation étrange, je n’aurai pas su plus. par contre l’idée de ne pas dévoiler le fait lui-même, c’est très vrai et merci. ( j’ai lu plusieurs fois votre L#7, et vous me faites mieux comprendre comment rédiger la mienne, je bute dessus.) Merci encore et bonne nuit.
belle chanson hein Simone… (magnifiquement conduite : on y est, ton a froid…) (j’ai aussi pensé à celle-ci – https://www.youtube.com/watch?v=Sz6fMGpe37k – pour compenser sans doute) (merci)
Merci, Piero. Comme ça compte, ton commentaire. Et en chanson ! Tu compenses bien ! la vidéo que tu m’envoies est très belle.
I used to walk in the shade
With those blues on parade,
Now I’m not afraid, I’m not afraid, babe.
Life can be so sweet.
On the sunny side of the street.